Bepolar : C’est votre premier roman. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire et plus particulièrement d’écrire celui-ci ?
Marie Capron : Vous savez, ce n’est jamais un premier roman parce que je crois que ce type d’exercice ne s’improvise pas...C’est le troisième, mais le premier publié dans une maison d’édition de cette envergure. J’écris depuis vingt ans sur tous types de supports. J’ai commencé par la presse écrite, des comptes rendus d’audience pour le tribunal de Mamoudzou en passant par les chroniques culturelles à la Réunion, sans oublier les comptes rendus de match de foot. On peut dire que j’ai charbonné dans pas mal d’univers différents, ce qui est un vivier pour l’inspiration.
D’ailleurs, je ne passe pas un jour sans écrire, ayant adopté la devise de mon idole de jeunesse Zola : « Nulla dies sine linea ».
Mais dans mon cas, l’écriture n’est pas une envie, c’est une nécessité, une ascèse et une discipline. « L’envie d’écrire » est un mythe qui me fait sourire.
Quant à la genèse de Priya, elle s’est tissée comme une toile d’araignée autour de plusieurs thèmes qui m’intéressaient, le pilier étant la monstruosité et ses différentes facettes. J’ai fait, enfant, et adolescente, l’expérience de la terreur. C’est un formidable moteur d’écriture.
Bepolar : Les deux héros, la commissaire Priya et Ziad, son lieutenant, évoluent dans un monde de coupes budgétaires et d’absence de moyens. Vous aviez envie de dénoncer ces soucis dans la police ?
Marie Capron : J’avais surtout envie de dénoncer les avanies du service public français, auquel je suis très attachée. La police étant le secteur privilégié du polar ; le fait de pouvoir imaginer un nouveau fonctionnement, suite à la crise économique, m’a donné plus de libertés.
Bepolar : Est-ce que vous pourriez d’ailleurs nous les présenter ?
Marie Capron : Priya et Ziad forment un couple dysfonctionnel. Priya est commissaire et Ziad son lieutenant. « La réunionnaise et l’arabe », comme ils aiment à se présenter, lancés dans la résistance pour sauver le service public français. Ziad est une figure de fils adoptif pour Priya, d’autant qu’il possède comme elle un sale caractère. Ils sont peu préparés aux horreurs qui les attendent, et ne peuvent compter que sur leur courage et leur intégrité. J’ai beaucoup d’affection pour leurs failles, et leur pugnacité.
Bepolar : Votre roman est une légère dystopie. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Marie Capron : Je suis une grande angoissée. L’anticipation est mon fonctionnement quotidien. Je suis malheureusement rarement déçue par la réalité. La dystopie est donc un genre qui correspond à mon état d’esprit. Celles de Margaret Atwood me fascinent. Le monde de La Servante écarlate ne me semble pas si loin du nôtre, si l’on s’appuie sur les récentes lois anti avortement aux États Unis, pas plus que la privatisation de la police ne me parait improbable dans la crise que nous traversons. Paradoxalement, la dystopie me rassure. Au moins, je sais à quoi m’attendre.
Bepolar : Il y a beaucoup de sujets que vous évoquez autour de l’enquête principale : la surconsommation permanente, la maltraitance animale, le manque de moyens de l’état... Est-ce qu’on peut, est-ce qu’on doit, le lire aussi comme une forme de satire de notre société actuelle ?
Marie Capron : Il me semble difficile de décrire la société actuelle sans y ajouter une dimension satirique. Sauf à verser dans l’angélisme ou l’optimisme de Candide, qui fut lui aussi objet de satire. Je vis dans un monde dont je perçois chaque jour les vicissitudes. La plupart du temps, comme Figaro : « Je me presse de rire de tout de peur d’être obligée d’en pleurer. » Le reste déborde dans l’écriture.
Bepolar : Est-ce en cela un roman engagé ?
Marie Capron : Voilà un débat passionnant que nous avons eu au salon du livre de Limoges en compagnie d’une grande autrice de polars, Sonja Delzongle. Selon elle, tout acte de littérature est forcément un engagement. Plus humblement, je vous répondrai que je m’engage contre la bêtise, l’hypocrisie, la bien-pensance, en racontant des histoires qui posent des questions. Au lecteur le soin d’accoucher de ses propres réponses.
Bepolar : Vos scènes sont souvent assez dures et sanglantes. Quelles sont vos limites dans ce que vous montrez et ce que vous ne montrez pas ? Et vous aviez envie de "saisir" le lecteur par des moments chocs ?
Marie Capron : Ce que je vais vous répondre va peut-être vous surprendre, mais je n’ai pas les lecteurs en tête lorsque j’écris. Je suis absolument seule avec mes terreurs, et elles sont sans limite. Tout comme l’est selon moi l’espace de la création, qui n’obéit pas aux lois de la réalité. J’écris mes cauchemars. Je les exorcise. Pour vous expliquer cet état de transe hypnotique, je le comparerais volontiers à celui d’Eleven, l’héroïne de la série Stranger Things, enfermée dans son caisson d’eau salée. C’est exactement l’expérience d’écriture que je vis. J’écris dans un état de dépouillement total, un casque sur les oreilles, je ne forme qu’un avec la peur. Je vois les scènes, je les sens, je les vis, et ce n’est pas du tout une expérience agréable, raison pour laquelle je n’écris qu’une heure par jour. J’ai découvert mes lecteurs après ma phase de réveil, lorsque la promotion du livre a commencé. Ce fut assez vertigineux.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices retiennent de votre roman une fois celui-ci fermé ?
Marie Capron : Mes lecteurs sont libres de retenir ce qu’ils veulent ou de tout oublier ! (Rires) Priya, c’est l’histoire d’une petite bonne femme pleine de failles qui marche vers la lumière. Elle ne donne pas de leçons, elle se contente de pousser son rocher comme Sisyphe en espérant qu’un jour, il tiendra en équilibre au sommet de la montagne.
Bepolar : Quels sont vos projets ? Avez-vous de nouveaux romans en préparation ?
Marie Capron : Je suis en ce moment à Miami, où je rédige les premiers chapitres des prochaines aventures de Priya. Qui ne seront pas moins sanglantes j’en ai bien peur...