- Acteurs : Vera Farmiga, Alessandro Nivola, Michael Gandolfini
Le film préquel de la série "Les Soprano" ne réussit ni à vraiment rendre nostalgique, ni à innover. Ne restent que quelques saynètes futiles avec des gangsters presque grotesques, où même le jeune Tony Soprano se voit réduit à l’état de silhouette évanescente.
Newark, New Jersey. Dans un contexte de guerre des gangs et de tension raciale, en 1967, on suit la descente aux Enfers de Dickie Moltisanti, gangster du clan mafieux des DiMeo. Son neveu, le jeune Tony Soprano, lui voue un culte et s’apprête, dans son sillage, à gravir les échelons de la mafia…
Le retour aux fourneaux du créateur des "Soprano" David Chase était attendu fébrilement par de nombreux fans et critiques depuis l’annonce en 2018 d’une préquelle aux mésaventures de Tony Soprano et de sa famille. Il faut dire qu’après avoir imaginé et piloté l’une des plus grandes séries jamais créées, le génial scénariste italo-américain s’était totalement retiré du système depuis le final de sa création fétiche, en 2007. Ce retour imminent de Chase au scénario a donc naturellement donné lieu à moult espérances et fantasmes. Malheureusement, "Many Saints of Newark" fait au regard de cet espoir plutôt l’effet d’une douche glacée. Non pas que son cinéaste, le réalisateur de "Terminator Genisys" Alan Taylor, à l’origine notamment de 9 épisodes des "Soprano", soit totalement dénué de talent – la réalisation de "Many Saints of Newark", qui s’avère plutôt propre et solide, le montre bien. Non, la principale fausse note du film se situe dans sa cruelle incapacité à fixer et installer une intrigue.
Pendant deux heures, le long-métrage échoue en effet coup sur coup à captiver son spectateur, la faute à toutes ses saynètes qui s’accumulent et se déroulent sans qu’elles ne soient jamais correctement raccordées les unes aux autres. Si bien qu’on a la sensation de se retrouver dans un épisode de série, mais une série qui tournerait sur elle-même à défaut de disposer du temps nécessaire pour creuser les idées qu’elle étale avec emphase ici ou là – en quelque sorte un mauvais pilote. Un peu comme une très longue bande-annonce qui ne ferait au fond que justifier le choix de telle ou telle scène par quelques bons mots et tirades bien senties. Dès lors, inutile d’espérer ici raviver la maestria du moindre épisode des "Soprano" ou se rappeler au souvenir d’un grand film de gangsters comme "Les Affranchis" (1990) ou "The Irishman" (2019). Car c’est simple : "Many Saints of Newark – Une histoire des Soprano" ressemble à du cinéma qui imiterait une série qui elle-même singerait du cinéma. Il n’y a pas d’âme, c’est donc une logique qui tourne à vide, sans écriture, sans vraies idées, sans aucune originalité – un comble pour un scénario signé Chase.
Cet aspect de catalogue superficiel apparaît d’autant plus amer et frustrant qu’il se double d’un autre échec cuisant : celui de ne jamais parvenir à véritablement intégrer Tony Soprano aux péripéties centrales. Noyé dans l’ombre de son oncle Dickie Moltisanti – autre antihéros névrosé et à la dent dure –, le personnage culte, ici ado, semble en définitive ne devoir sa présence au sein du film qu’à sa dimension de faire-valoir. De quoi ainsi justifier – mais maladroitement – la généalogie de "Many Saints of Newark" avec "Les Soprano". L’atmosphère du film, assez plaisante avec ses reconstitutions d’époque et ses règlements de compte musclés, ou encore son casting sur-mesure (Alessandro Nivola, Ray Liotta, Corey Stoll, Vera Farmiga, Michael Gandolfini le fils du regretté James Gandolfini qui campait le caïd dans la série HBO…), recelaient pourtant de quoi façonner une œuvre harmonieuse. Pas sûr toutefois, au regard de ce coup d’épée dans l’eau, qu’on ait vraiment envie de voir "Many Saints of Newark" engendrer une série (la chose serait en discussion entre David Chase et Ann Sarnoff, la présidente des studios Warner Bros.). À moins que cela ne donne l’occasion à David Chase de revenir à ce qu’il sait faire de mieux : radiographier patiemment et attentivement la neurasthénie des gangsters avec la faconde d’un Shakespeare, d’un Arthur Miller et d’un Federico Fellini.