- Auteur : Claire Raphaël
- Editeur : Editions du Rouergue
Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman qui parle de prostitution ?
Claire Raphaël : Je voulais écrire un roman centré sur une histoire de banditisme, et j’ai choisi de commencer par des meurtres de prostituées pour lancer une intrigue qui me permette d’évoquer les questions de proxénétisme et de trafic d’armes. La mort violente des prostituées est une mort doublement obscène parce qu’il n’y a souvent personne pour les pleurer, parfois personne ne réclame leur corps, et elle atteste de la sauvagerie de gangsters qui deviennent très facilement des assassins, sans même parfois se rendre compte qu’ils ont basculé dans une violence extrême. Ce passage du délinquant qui cherche à gagner de l’argent facile au criminel qui tue tous ceux qui s’opposent à lui est très intéressant en soi, c’est un passage que certains franchissent très jeunes et mon roman me permet aussi de faire quelques portraits de ces voyous qui ont été happés par leur propre violence.
Bepolar : Qu’est-ce qui vous intéressait justement dans ce sujet de la prostitution ?
Claire Raphaël : Ce qui m’intéresse c’est d’abord le phénomène en tant que tel, qui est tellement important aujourd’hui, si on compte les prostituées professionnelles et celles (ou ceux) qui se prostituent occasionnellement. La vie de ces personnes est romanesque et dramatique, ces personnes qui acceptent une vie très dure, très déstructurante, souvent solitaire et qui parfois décident d’en sortir avec toutes les difficultés que cela suppose sur le plan matériel et psychologique. Cette question de l’acceptation de la souffrance et de l’humiliation, puis de la révolte m’intéresse beaucoup, c’était aussi un sujet de mon premier roman dans lequel j’évoquais des femmes battues. Je crois que les personnages de roman les plus beaux sont ceux qui sont prisonniers de leurs propres vies et qui finissent par se révolter pour sortir du trou.
Bepolar : On y retrouve l’héroïne des « Militantes », Alice Yekavian. Quels liens avez-vous avec elle en tant qu’autrice ?
Claire Raphaël : Alice me ressemble beaucoup, elle est fonctionnaire de la police scientifique, experte en balistique, d’origine arménienne, comme moi. Je voulais avoir pour narratrice une femme qui me ressemble. Cela me permet certainement d’être plus authentique, plus sincère et la sincérité est importante en littérature. C’est une femme moderne, scientifique, qui participe à des enquêtes à une place qui est à la fois très intérieure et extérieure, intérieure puisqu’elle fait partie de la police judiciaire, et extérieure parce qu’elle n’enquête pas directement, elle conseille les enquêteurs, et elle finit par prendre des initiatives en s’appropriant les affaires sur lesquelles on l’a appelée. C’est une femme qui peut être timide mais qui au final n’a peur de rien.
Bepolar : On ressent aussi une forme de critique sociale dans la manière dont vous évoquez les quartiers en difficultés, leurs habitants et la misère, non ?
Claire Raphaël : Oui, le regard critique sur la société et notamment sur ce que la société porte de violence et de souffrance me paraît fondamental. J’ai été très marquée par mes lectures de Zola quand j’étais enfant. Puis par des auteurs noirs contemporains tels que Didier Daenincks. J’ai toujours aimé la littérature sociale. Je crois que le roman noir trouve sa beauté quand il dépasse l’intrigue pour témoigner ou dénoncer. Le roman noir se marie très bien avec la description des mondes populaires. J’ai une haute idée du roman noir. Je crois que comme toute bonne littérature il ne peut pas se contenter de divertir. Bien sûr il doit divertir, mais il doit aussi montrer ce qu’on voit peu, ce qu’on n’ose pas ou plus regarder, la misère, la violence, la répétition du malheur toujours sur les mêmes têtes mais aussi la force des victimes, leur capacité de se battre.
Bepolar : Vous étayez votre roman avec des procédures qu’on imagine authentiques. C’est important pour vous qu’il y ait une forme de véracité ?
Claire Raphaël : J’aime écrire des romans réalistes. La réalité de la violence, je la connais bien. Depuis plus de vingt ans que j’exerce au sein de la police scientifique j’ai eu le temps de voir toutes les formes de crimes et de bien connaître les procédures employées par la police et la justice. Je pense que la littérature a aussi ce rôle de dire la vérité, à une époque où le discours public est très contraint par le jargon, la langue de bois et les provocations. J’aime l’idée d’évoquer des techniques d’enquête réelles, modernes, et je sais bien que le public aime à connaître les conditions dans lesquelles nous travaillons. Mon idée est de ne rien cacher des difficultés des enquêtes criminelles tout en orchestrant une intrigue dynamique pour répondre au souci du lecteur de lire un texte rapide et fluide.
Bepolar : Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous ?
Claire Raphaël : Je suis en train de finaliser un troisième polar, une troisième enquête d’Alice Yekavian centrée sur un personnage de jeune femme psychotique. Un texte que je présenterai bientôt à mon éditeur. Je continue par ailleurs de publier de la poésie notamment dans des revues et sur mon compte Instagram, puisque je suis entrée dans la littérature par la poésie avant de devenir romancière.