Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman, Le Mur grec ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de nous emmener en Grèce au moment de la crise économique ?
Nicolas Verdan : Cette idée est partie de reportages que j’ai fait en Grèce et en Turquie entre 2000 et 2010. Je me suis intéressé à la route des migrants qui passent par l’Egée ou le sud des Balkans pour tenter de rejoindre l’Union européenne. Etant moi-même Grec par ma mère, ce roman est aussi une façon d’explorer mes racines et ce pays que je n’ai de cesse de chercher à comprendre au-delà de ce que l’enfance et la famille m’ont en donné à voir. La crise économique et financière croise le chemin des migrants qui passent par la Grèce ou qui s’y établissent. Un cocktail explosif qui fournit un climat très adapté au roman noir.
Bepolar : Comment vous-êtes vous documenté ? Comment avez-vous préparé ce roman ?
Nicolas Verdan : J’ai effectué des enquêtes de terrain et de nombreuses interviews en Thrace orientale, au nord-est de la Grèce, ainsi qu’à Athènes et sur l’ile de Lesbos, notamment en participant comme journaliste à une patrouille de Frontex, la police des frontières européenne, en allant trouver la police grecque dans un commissariat d’une ville frontalière, en rencontrant les migrants et en m’entretenant avec une femme qui a pu échapper aux réseaux de prostitutions clandestins. Sans oublier des contacts directs avec des habitants de la zone frontalière avec la Turquie où je me suis rendu plus d’une fois pour des repérages terrain, notamment lorsque la Grèce a commencé en toute discrétion la construction du mur de barbelés que j’ai pu photographier sans permission en traversant une zone militaire. Ce roman n’en demeure pas moins une fiction, écrite avec une part d’imagination. Ce livre n’est pas un récit journalistique mais un thriller, assumé comme tel. Et, surtout, écrit comme tel.
Bepolar : Pourquoi avoir écris un polar dans ce contexte ? Parce qu’il se déroule justement dans un moment chaotique ?
Nicolas Verdan : Perso, j’aime lire des thrillers et autres polars ou romans noirs qui ont un ancrage dans le réel. Ce moment chaotique de la Grèce et de l’Europe est plus qu’un simple décor. Il constitue la trame d’un thriller où la violence typique du genre (un meurtre, avec une tête coupée en l’occurrence) est amplifiée par la violence de la crise économique et financière, la corruption, les dérives sécuritaires et la détresse des populations migrantes.
Bepolar : On y suit l’enquête d’Envangelos, policier proche de la retraite. Qui est-il ? Comment le voyez-vous ?
Nicolas Verdan : Je le vois comme un homme qui a tout vu, mais qui ne renonce pas à chercher une forme de justice. Il porte en lui l’histoire récente de la Grèce des années soixante à nos jours. Ses réflexions politiques sont parfois les miennes (moi qui suis bien plus jeune que lui) et celles de sa génération de Grecs nés dans le années cinquante, quand la Grèce se relève des années effroyables de l’occupation nazie et de la guerre civile qui dure de 1944 à 1949. Il a aussi une part d’ombre, lui qui servit sous les drapeaux durant la junte des colonels au début des années 70.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices retiennent de votre roman : une meilleur compréhension de la situation ou l’histoire ? Ou les deux ?
Nicolas Verdan : Peut-être qu’elles et ils verront dans ce livre une Grèce qu’ils ne soupçonnaient pas. Un lieu de passage migratoire, le seuil difficilement franchissable de l’Union européenne, un lieu de violences et d’outrages. Avec toutefois, dans ce tableau sombre et tourmenté des raisons de croire en la justice sociale. En Grèce, même lorsque son histoire est des plus noires, la lumière est toujours belle. C’est ce que j’aimerais que l’on retienne de mon roman.
Bepolar : Quels sont vos prochains projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Nicolas Verdan : Les aventures d’Evangelos se poursuivront l’an prochain quand il se rendra en Suisse pour y trouver sa petite-fille qui vit à Zurich avec ses parents, médecins exilés. Le début d’une aventure qui passe aussi par les montagnes d’Epire, proches de l’Albanie avec la présence de fantômes insistants de guerre civile grecque, quand les enfants grecs payaient un lourd tribut au conflit intérieur. Retraité, mon personnage n’est pas pantouflard.