- Auteur : Yannick Bouquard
- Editeur : Goater Editions
Le Festin Des Porcs de Yannick Bouquard est un polar politique, sociologique, au bord de la révolte. Un roman qu’on a adoré et dont nous parle son auteur...
Bepolar : Le festin des porcs est votre deuxième livre. C’est un polar dystopique énervé. Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’écrire ? Comment est née l’idée de son histoire ?
Yannick Bouquard : L’idée commence de s’organiser avec l’affaire DSK, à New York, ses suites et surtout son traitement médiatique. Au delà de la trop grande banalité du crime, les contorsions -par exemple- d’un Jean-François Khan pour normaliser « le troussage de domestique », résume tout. Le crime révolte, l’impunité plus encore.
Par ailleurs, l’idée de réfléchir au biais de confirmation des exploiteurs, c’est à dire aux erreurs de jugement qui les laissent croire à la justesse de leur mode d’existence ou à la légitimité qu’ils ressentent de dévorer autrui m’interroge depuis longtemps. Cette question est le corollaire de celle qui pousse à bouffer de la poussière devant leurs bottes ou leur mocassins. Comprendre ces processus revêt une valeur stratégique.
Puis, la société française sous pression (l’écriture du Festin débute avant les gilets jaune), le terrorisme des fascistes islamistes, la résurgence de leur camarades nationalistes, l’écriture devenait inévitable.
Et, il y a l’inspecteur, l’un des personnages principaux. Il est le prétexte narratif, l’objet nécessaire à animer dans ce bourbier. Je voulais le tester dans ce contexte.
Bepolar : On y croise trois personnages, une jeune femme qui rêve d’ascension sociale, une inspecteur désabusé et publicitaire repenti. Qui sont-ils ? Comment pourriez-vous nous les présenter ?
Yannick Bouquard : Ce sont trois archétypes du roman noir.
L’inspecteur est un personnage trouble, détaché, dont il peut paraître difficile de saisir la substance politique et poétique. Il est « l’interstice ».
Le publiciste est le cynique moderne. Bourgeois soc-dem’, ouvert mais davantage à sa classe qu’à autrui, progressiste dès lors que le progrès lui permet de perdurer, militant lorsque la militance est compatible avec son libéralisme économique ; il s’agissait alors d’introduire une fêlure dans ses rouages.
Le jeune femme est un personnage beaucoup plus complexe à décrire, à propos duquel il y aurait énormément à dire. Entrer dans le détail sans dévoiler l’intrigue n’est pas évident. Malgré tout, elle est la lueur dans ce champs de ruine. Elle a d’autre part un second niveau d’écriture, davantage « technique », fonctionnel, nécessaire pour mener le lecteur là où je veux le mener : dans la fureur, la révolte. Elle témoigne d’une réification, la forme de son écriture également.
Bepolar : C’est un polar assez féroce. La révolution y gronde avec des
passages assez dur avec des manifs et des émeutes. Est-ce que c’est un
roman de colère pour vous ?
Yannick Bouquard : De colère, de vengeance, de tentatives désespérées d’émancipation.
C’est moins une révolution structurée qu’une révolte encore brute qui gronde, individuelle, naissant dans la vie quotidienne. Ce questionnement sur le positionnement est central.
La rage habite le roman, certains personnages invitent cependant à la canaliser, à la rationaliser. S’il ne faut pas s’interdire de la ressentir, sans doute ne faut-il pas s’en contenter. Conséquemment j’explore d’autres motifs narratifs, brutaux, nihilistes dans un contexte à l’effleurement de la dystopie.
A ce propos, espérons que la misomusie n’aient pas ravagé tout les esprits. Nous n’avons pas besoin d’aseptisation, nous avons besoin de toute la force de notre raison et de nos jugements. Laissons les certitudes absolues aux ignorants et aux fanatiques, ils les méritent.
Bepolar : Il y a aussi un style, travaillé, ciselé. Comment travaillez-vous votre écriture ?
Yannick Bouquard : Je conçois un roman comme une articulation entre une histoire et sa forme. Les questions esthétique et narrative se résolvent l’une l’autre, se nourrissent. Écrire communément une histoire d’amour, de science-fiction, un polar des bas fonds ou etc., n’a pas de sens à mes yeux. Qu’est ce que cela voudrait-il dire ? Que les propos peuvent revêtir n’importe quelle forme ? Que l’on critique de la même manière que l’on encense ? Raconter me semble insuffisant, la manière doit accréditer le fond, sans quoi ce récit à la même saveur que le suivant.
C’est la raison pour laquelle le texte varie d’un personnage l’autre ou durant les chapitres pamphlétaires dans le Festin Des Porcs.
Je passe donc beaucoup de temps à me documenter, à réécrire, à orienter, à sacrifier ; je mène énormément de relecture, de coupes, je teste au gueuloir ; j’épure ou je charge en fonction de ce que je cherche à susciter.
Prendre du temps pour travailler sa forme c’est en laisser moins à la laideur de ce monde inhabitable. Bien entendu, ce sont des tentatives modestes que je mène comme je peux avec les moyens du bord.
Bepolar : Qu’est-ce vous aimeriez que les lecteurs et lectrices retiennent de votre roman une fois celui-ci refermé ?
Yannick Bouquard : Qu’il y a toujours une possibilité de fuite, que la dévoration n’est pas un fatalisme, que notre rage est le carburant de notre raison, que la raison doit l’emporter, que le tout émotif est l’arme des propagandistes, des marchands d’inutilité et des charlatans et que nous devons pas bouffer de ces rogatons-là.
Bepolar : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Yannick Bouquard : J’aimerai me concentrer sur de la science-fiction dans l’avenir. (Au passage Goater propose l’une des plus belles collections de SF Francophone avec Rechute, je dis ça, je dis rien...) Je suis un grand fan de Le Guin et Priest.
Pour mon prochain texte, je vais essayer de me concentrer sur le souvenir, la solitude, la nostalgie.
Je travaille également avec le TOC (théâtre obsessionnel compulsif) en compagnie de Muriel Malguy et sous la direction de Mirabelle Rousseau. En ce moment nous reprenons une adaptation du manifeste de Ted Kaczynski, travaillons sur la Vie d’Emma Goldman et sur les Carnets de Mireille Havet.
Bref, il faut que ça palpite, vive et déborde.