- Auteur : Dominique Sylvain
- Editeur : VIVIANE HAMY
Partez sur les traces du commandant Barnier et de son lieutenant, Maze !
A l’occasion de la sortie de son roman Les Infidèles aux éditions Viviane Hamy en février dernier, Dominique Sylvain nous dévoile les secrets de son récit.
Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
Dominique Sylvain : De plusieurs éléments, qui ont fini par converger sans que je maîtrise vraiment le processus. J’entasse dans de gros dossiers les idées potentielles, choisies à l’instinct (si un sujet m’attire, je ne cherche pas trop à analyser les raisons de son attraction, je le mets de côté). J’ai retrouvé dans ces réserves une coupure de presse à propos de la créatrice d’un site d’alibis pour couples adultères. L’idée de lovalibi.com, la petite fabrique de mensonges de mon personnage, Alice, est venue de là. D’autre part, j’avais été invitée au Festival des Écrits de femmes, à St-Sauveur-en-Puisaye, le village natal de la romancière Colette, et m’étais dit que le lieu créerait une ambiance intéressante et mystérieuse pour un polar. J’ai donc fait d’Alice une égoïste obsédée par son confort, une recluse de luxe ayant mis beaucoup d’argent dans la rénovation de sa splendide demeure familiale dans l’Yonne. Mais n’en faire qu’une esthète égoïste n’aurait pas été intéressant. Et j’ai pensé à la révélation que m’avait faite une amie, il y a un certain temps déjà, en m’apprenant qu’elle souffrait d’anévrisme. Je me suis dit que si Alice devait vivre elle aussi avec cette épée de Damoclès qui menaçait de la tuer à chaque instant, son besoin de se réfugier dans un cocon esthétique deviendrait logique. Et touchant. Et puis j’ai imaginé que cette femme serait obligée de sortir de ce refuge pour affronter le chaos du monde. D’ailleurs, au départ, le roman devait s’intituler « J’aime ce monde » d’après un haïku de Natsume Sôseki. Sans savoir pourquoi /j’aime ce monde /où nous venons pour mourir. Mon dernier roman, Kabukicho, se situait à Tokyo. Par contraste, j’ai eu envie que le suivant démarre dans le terroir français. Je voulais aussi travailler sur une opposition campagne/ville, et savais qu’une partie de l’intrigue se déroulerait à Paris, où je vis. Je voulais écrire un roman différent des précédents. Je ne déteste pas la routine dans la vie. En revanche, dans mon travail, si.
« Il ne s’agissait pas de porter un jugement moral, mais d’observer une sorte de dynamique du chaos. »
Bepolar : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire dans l’univers de l’adultère
et des sites qui donnent des alibis aux infidèles ?
Dominique Sylvain : Le thème du mensonge et, par extension, des faux-semblants et des conventions sociales, m’a toujours intéressée. Déjà, dans Kabukicho, le Pigalle japonais, hôtes et hôtesses de bar passaient leurs nuits à mentir à leurs clients pour les valoriser dans une sorte d’industrie du « massage de l’ego » très organisée et fort lucrative (comme dans la réalité). Dans Les Infidèles, le mensonge fonctionne tel un ciment qui permet à un petit microcosme de continuer à fonctionner confortablement. La surface est lisse, mais en-dessous, c’est une autre histoire. Le personnage de Dorine, restauratrice de tableaux et épouse du patron d’une chaîne d’info en continu, symbolise cette ambivalence. Elle doit ressusciter un tableau du XVIIIe siècle, qui a été peint, et donc dissimulé, sous un autre. Une scène libertine sous une image banale.
L’intrigue du roman, la mort inexpliquée d’une jeune journaliste qui enquêtait sur l’économie de l’adultère, est en fait le moyen de diriger la caméra vers un petit monde bien ordonné et de plonger chaque protagoniste dans l’obligation de se confronter à la réalité et aux conséquences de ses actes. Il ne s’agissait pas de porter un jugement moral, mais d’observer une sorte de dynamique du chaos. J’ai vécu longtemps en Asie. Dans ces cultures, on considère que l’impermanence des choses est partie intégrante de la vie. En quelque sorte, dans Les Infidèles, les personnages sont confrontés au chaos et au fluctuations de l’existence. Et ils doivent s’adapter. Ou n’y parviennent pas.
Et puis, il me semble qu’on écrit toujours sous influence. Mes lectures m’ont marquée à jamais. C’est le cas de Trahisons, la pièce d’Harold Pinter. Elle est très audacieuse car Pinter raconte une passion amoureuse (et adultère) à rebours. On commence par la tristesse des amants séparés. On finit par le début, flamboyant. J’ai d’ailleurs mis un extrait en exergue du roman.
Rien n’a jamais existé. Rien. Mais ça, ici, c’est la seule chose qui ait jamais existé.
Vos yeux me tuent. Je suis perdu.
Bepolar : Comment pourriez-vous présenter vos deux héros, Barnier et Maze ?
Dominique Sylvain : Je savais qu’en toute logique la police interviendrait dans l’histoire puisqu’il y avait un homicide. Mais j’en avais assez de ces histoires trop millimétrées où les flics (en solo, en duo ou en groupe) résolvent des enquêtes de A jusqu’à Z avec maestria (même s’ils sont, dans la plupart des polars, confrontés au doute). Je voulais dynamiter l’enquête et j’avais envie qu’Alice soit elle aussi amenée à investiguer la mort de sa jeune nièce pour des raisons personnelles, mais aussi parce que cette mort met son business en danger. Il fallait pour ça que l’enquête officielle soit quelque peu grippée. J’ai donc pensé à la puissance de la passion pour faire exploser la belle mécanique du travail policier. Mais c’était délicat à mettre en place. Il ne fallait pas tomber dans la gaudriole ou le récit à l’eau de rose. C’était une gageure. Et c’était aussi très agréable à écrire. J’ai toujours aimé écrire sur la sensualité et le désir. Ça se travaille à petites touches, il faut creuser profond en même temps. Un mot de trop et c’est ridicule. Bref, c’était sportif.
« Ce qui m’intéresse, a contrario, c’est la subtilité de nos existences. »
Bepolar : Vous jouez avec les deux et la nature de leur relation, ce qui n’est
pas toujours très courant dans le polar. Qu’aviez-vous envie de faire
ou de dire ?
Dominique Sylvain : Le lieutenant Maze s’annonce très vite comme clairement gay. Le commandant Barnier est quant à lui un père de famille presque sans histoires, efficace dans son travail et assez carré. Mais lentement, Barnier se sent troublé par la présence physique et la sensibilité de son adjoint. Il lutte, il ne comprend pas d’où monte ce sentiment. Ça m’a permis aussi de créer une seconde ligne narrative. L’idée était que cette lente montée de la passion soit aussi chargée de suspense que l’enquête sur la mort de la jeune Salomé.
Et puis j’avais envie d’un roman sensuel. En fait, j’ai toujours envie de plusieurs choses dans un roman, de variations de rythmes et d’atmosphères, un peu comme dans une composition musicale. A vrai dire, pour répondre plus précisément à votre question, je n’envisage jamais de « dire » quelque chose ou de faire passer un message. Mon objectif a toujours été, depuis mon premier roman, de tenter de capturer nos émotions contemporaines et de les renvoyer vers les lecteurs pour qu’il y ait échange. En tant que lectrice, je n’aime pas les romans « moralisateurs » dans le sens où l’auteur veut dénoncer une réalité déplaisante et impose en solo son analyse (ça me donne un peu trop l’impression d’aller à la messe). Ce qui m’intéresse, a contrario, c’est la subtilité de nos existences. C’est fantastique quand, au détour d’une phrase, en tant que lecteur ou lectrice, on réalise que l’auteur vient de formuler ce que nous ne savions pas que nous pensions. Il y a une connivence humaine qui fait du bien, qui est nourrissante voire rassurante, même si le récit est très noir.
« Il y a eu, si je me souviens bien, quatre ou cinq versions d’Alice. Quand j’ai imaginé que je tournais un film et que je confiais son rôle à Isabelle Huppert, ça m’a un peu aidée. »
Bepolar : Vous adaptez votre style à chaque personnage et vous nous proposez du suspens et du rythme. Comment avez-vous travaillé ? Comment l’avez-vous construit ?
Dominique Sylvain : En fait, je voulais me faire plaisir. Quand on écrit un polar « classique » avec des enquêteurs embarqués dans une investigation qui prend souvent une allure de voyage initiatique, on a tendance à opter pour un style sans gras, efficace et sobre. Je savais qu’en me décidant pour le récit choral, j’allais pouvoir déployer une palette. J’ai donc choisi un style très écrit pour Alice, ce qui correspondait à son côté froid, élégant et intemporel. Pour Valentin, le jeune homme fragile et peut-être autiste (on ne sait pas vraiment quel est son problème), j’ai opté pour un récit au présent avec des images oniriques, une présence palpable de la nature et une touche de fantastique. Pour Moi/Toi, j’étais dans le registre sec et angoissant du thriller. Et pour Barnier, j’étais dans le récit sobre qui correspond bien à sa nature avec quelques décollages sensuels. Pour Valentin, ça a été très facile. Le texte s’écrivait tout seul comme si j’étais Valentin. Pour Moi/Toi et Barnier, les difficultés étaient celles que je rencontre à chaque fois ; il faut juste travailler pour les surmonter. En revanche, pour Alice, j’ai eu beaucoup de mal. Je n’arrivais pas à trouver le ton, la voix. Je l’ai retravaillée dans toute une gamme de couleurs jusqu’à ce que je trouve la bonne nuance. Il y a eu, si je me souviens bien, quatre ou cinq versions d’Alice. Quand j’ai imaginé que je tournais un film et que je confiais son rôle à Isabelle Huppert, ça m’a un peu aidée.
Pour le suspense, j’ai établi un plan avant de me mettre à écrire, mais comme d’habitude, je me suis heurtée à des incohérences, des faiblesses de scénario. J’ai dû revoir et revoir ce roman plusieurs fois. Mais pour moi, ce n’est pas une nouveauté. Les histoires me résistent. Mais j’aime bien la bagarre.
Bepolar : Est-ce qu’on retrouvera vos héros dans un autre roman ?
Dominique Sylvain : A priori, je ne pense pas. Je l’avais envisagé comme un one shot. Ceci étant dit, plusieurs commentateurs m’ont posé la question. Les lecteurs aussi. Certains les réclament. Ça me touche, mais je ne me fie qu’à mon instinct et pour le moment, il ne me souffle rien.
Bepolar : Quelles sont vos prochaines dates de dédicaces ?
Dominique Sylvain : Le Salon du livre de Paris les 17 et 18 mars. La librairie l’Étagère à St-Malo, le 24 mars. Quais du Polar, les 6, 7 et 8 avril. Le festival d’Oléron, les 20, 21 et 22 avril. Le salon de Saint-Laurent-du-Var, les 28 et 29 avril, le festival du Goéland Masqué les 18, 19 et 20 mai…
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ?
Dominique Sylvain : Je suis en train de traduire un polar japonais avec mon mari car nous avons créé une maison d’édition spécialisée dans le roman de genre japonais, Atelier Akatombo. Le premier roman, Le loup d’Hiroshima, devrait être publié début juin.
« Un bon polar, c’est avant tout un bon roman. Bien construit, bien écrit, avec des personnages plausibles, humains, touchants. Le sujet n’a pas tellement d’importance. »
Bepolar : Et qu’est-ce qui fait selon vous, un bon polar ?
Dominique Sylvain : Un bon polar, c’est avant tout un bon roman. Bien construit, bien écrit, avec des personnages plausibles, humains, touchants. Le sujet n’a pas tellement d’importance. Les réponses ne sont pas aussi importantes que les questions. Tout peut être intéressant à condition que ça fasse sens et qu’on aille jusqu’au bout, même si c’est difficile. Sans s’accorder de facilités. De plus, il faut une touche de dinguerie. Une singularité. Il faut que l’auteur aille creuser profond en lui et nous embarque dans un monde à part, mais qui ressemble furieusement au nôtre sous certains aspects. Il faut de la sincérité, une envie de se battre, une passion.