Bepolar : Comment est née l’idée de ce nouveau roman ? De quoi aviez-vous envie de parler ?
Depuis des années, j’ai accumulé un grand nombre de témoignages sur des faits bien réels qui se sont déroulés dans ma région.
Roger Judenne : J’ai aussi bien connu de grands résistants "anonymes".
Je voulais faire revivre cette période parce qu’elle est intéressante sur le plan romanesque en raison des larges zones d’ombre qu’elle comporte. Dans ma région, le chef d’un petit groupe de résistants a été tué lors d’une embuscade montée pour attaquer un convoi allemand. Il a été tué, "succombant à un ennemi supérieur en nombre" indiquent les archives militaires. Or, on a la preuve que, cette nuit-là, aucun allemand n’est passé. Depuis, il y a une véritable omerta sur ce cas.

Bepolar : On est à quelques jours donc du Débarquement allié en Normandie. Pourquoi avoir choisi cette période ?
Roger Judenne : Les vrais résistants sont célébrés aujourd’hui comme des héros. Ils sont du bon côté et, avec eux, leurs descendants. Mais il y a aussi eu quantité de gens qui ont eu des comportements mitigés et toute une frange de la population qui ne cherchait qu’à passer entre les gouttes. Entre ceux qui sont tout blancs et ceux qui sont tout noirs, il y a tous ces gens plus ou moins gris qui sont un régal pour un romancier.

Bepolar : Votre ouvrage est passionnant. On plonge dans les histoires de la résistance, avec deux mouvements qui ont des approches politiques différentes. Quelle a été la part de documentation ?
Roger Judenne : Des années à recueillir des témoignages (spontanés ou provoqués) et à effectuer des recherches dans les archives, en particulier militaires.
Tous les lieux existent et la très grande majorité des actions est exacte.

Bepolar : Est-ce qu’écrire sur cette période que l’on connait tous plus ou moins comporte des pièges à éviter, ou un manichéisme dont il faut se méfier ?
Roger Judenne : Le lecteur s’identifie et, même s’il lui est bien annoncé dès le départ qu’il lit un roman, donc une fiction au niveau des personnages, il essaie de trouver des correspondances avec des personnages ayant réellement existé. Bien que près de 80 ans se soient écoulées depuis la Libération, l’exercice reste délicat parce que des susceptibilités persistent, en particulier pour ceux qui appartiennent à des familles qui n’ont pas eu une conduite jugée irréprochable après la Libération.

Bepolar : On est vraiment dans la vie quotidienne de ce village. On y croise de nombreux personnages. Comment avez-vous construit votre histoire ? Tout était bien planifié dans l’écrire ?
Roger Judenne : Je suis le contraire d’un auteur qui écrit au fil de la plume. Je n’écris le premier mot du roman que lorsque toutes les phases de l’histoire sont méticuleusement calées. Oui, tout est très planifié.

Bepolar : Il y a deux mouvements, avec chacun à leur tête deux personnages forts, Armand et Pierre. Qui sont-ils ? Comment pourriez-vous nous les présenter ?
Roger Judenne : Dans la plupart des régions, deux mouvements de résistance (au moins) cohabitaient, voire s’opposaient : Le Front National (sans aucun lien avec Le Pen) qui regroupait plutôt des communistes et Libération Nord (dans notre région), d’obédience plutôt socialiste. Une rivalité existait entre ces deux mouvements parce que les communistes, avaient soutenu le pacte germano-soviétique et avaient appelé à la neutralité (pour ne pas dire une certaine bienveillance) envers l’occupant jusqu’en juin 1941.
Dans la région de Voves, au coeur de la Beauce, où j’ai situé ce roman, les rivalités entre les deux chefs étaient vives et l’ordre donné par le général De Gaulle de fusionner tous les mouvements de résistance en vue d’une plus grande efficacité à l’approche de la Libération a été très difficile à mettre en place.
Cette rivalité n’est-elle pas à l’origine de la mort de l’un des deux dans des conditions aujourd’hui encore inexpliquées et tues ?

Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ? Quels sont vos projets ?
Roger Judenne : Depuis plus de 40 ans, je travaille en général sur deux romans en parallèle : un roman adulte, en général dans la veine du terroir, et un roman jeunesse. C’est de cette façon que mes 134 romans ont été écrits.
En ce moment, je fais revivre une "marquise des gagne-misère, personnage d’une grande richesse morale que j’ai déjà mise en scène dans "Louison la douce" et un roman jeunesse qui a pour cadre un coin d’Irlande où je m’isole régulièrement pour écrire.
Mais j’hésite toujours à parler de ce que je suis en train d’écrire. Pas absolument certain d’arriver au bout...