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L’interrogatoire de Diniz Galhos et la fuite éperdue d’Hakim !

Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
Diniz Galhos : J’ai vécu une situation similaire à celle qui « noue » l’intrigue du roman. Après avoir accompagné un cousin à l’aéroport de Roissy, je me suis retrouvé seul dans un wagon avec un homme, un brave daron qui a attiré mon attention sur la présence d’un sac abandonné. Après deux ou trois relances inquiètes, j’ai fini par comprendre, et en lui tapotant sur l’épaule, lui ai dit que je préviendrai le conducteur de la rame à Gare du Nord. Avec un sourire plus que crispé, désignant son visage, il m’a dit : « Oui, parce que moi… » C’était un honnête citoyen, autrement plus exemplaire et responsable que moi, un type qu’on sentait profondément gentil et bien intentionné, et qui craignait que sa barbe, son bonnet et ses traits maghrébins le désignent comme suspect numéro un. Ça m’est resté en travers de la gorge.

Bepolar : Vous nous racontez l’histoire d’un homme qui prend la fuite, parce qu’il a peur d’être suspecté d’un possible attentat. Qu’aviez-vous envie de faire ou de dire ?  
Diniz Galhos : J’avais envie de donner la parole à un type de personnes dont on nie bien trop souvent le droit de cité : l’un des millions de musulmans français qui vivent leur foi en toute paix, et ne se résument pas à leur obédience, encore moins à une vision étriquée et caricaturale de l’islam, telle que certains le fantasment. Hakim est un personnage complexe, qui comme à peu près tout le monde a eu plusieurs vies, et se définit autant par la complexité de son vécu et de ses opinions que par ses actes.
Montrer aussi que le simple fait de se sentir persécuté, sans l’être forcément dans les faits, est une violence en soi. Une violence commune à un grand nombre de personnes dans notre pays.

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Bepolar : C’est un roman très actuel avec des thèmes qu’on retrouve souvent dans les débats de notre temps. Est-ce qu’on peut dire que c’est un roman avec une forme d’engagement ?
Diniz Galhos : Ces thèmes (immigration, intégration, laïcité, injustice sociale, etc.) sont malheureusement des thèmes récurrents, si ce n’est inhérents de la vie sociale de notre pays, à son histoire même. J’aimerais être plein d’espoir, mais je crois qu’on sera confronté aux mêmes problèmes dans quinze, vingt ans de ça. Après, c’est le bon côté du pessimisme : on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise.
« Engagement », ce n’est pas un gros mot. Dans ce roman, il y a un engagement pour le réel : Hakim a ses défauts, ses qualités, il a été spécialement conçu pour que chaque lectrice, chaque lecteur, se surprennent tantôt à se ranger à son avis, tantôt à se révolter contre ses prises de position, comme si ce personnage était une personne. Il y a un engagement pour désessentialiser une partie de la population française, la montrer dans toute sa complexité, par le prisme d’un seul personnage.
Et puis un engagement stylistique aussi : montrer véritablement la langue vivante de ce personnage, comment il s’exprime vraiment, oralement, sans fioritures littéraires qui auraient plus servi l’auteur que le roman, et sans caricature sur les origines sociale ou ethnique de Hakim.
Un engagement du ton, enfin : ne pas tomber dans le misérabilisme, comme ça arrive si souvent dans les romans français qui traitent de banlieue et/ou d’immigration. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre et/ou stigmatisé qu’on ne se marre pas. Parfois même aux dépens des autres.

Bepolar : Comment vous pourriez nous présenter Hakim ? Comment vous, son créateur, le voyez-vous ? 
Diniz Galhos : C’est un honnête père de famille, « français de première génération », c’est-à-dire né ici de parents maghrébins. Il est musulman pratiquant, marié à une non-musulmane. C’est un prolo parigot à l’ancienne, peut-être un « islamo-gauchiste », qui sait, voire pire encore, qui cache derrière son physique d’ex-pilier de rugby un petit cœur en sucre et une profonde, très profonde intranquillité.

Bepolar : Parlons de la construction du livre. Il est écrit comme une sorte de long plan séquence. Comment avez-vous travaillé ? Qu’est-ce que vous aviez envie de faire avec la forme ?  
Diniz Galhos : Ça me fait plaisir que vous ayez été sensible à ce côté « plan séquence ». À l’origine, ce ne devait être qu’un tout petit roman de moins de cent pages, une grosse nouvelle. J’ai eu la chance de passer une semaine à la résidence d’auteurs des Avocats du Diable, à Vauvert, et au bout de sept jours et cent pages noircies, je n’étais qu’à la moitié de l’histoire. Alors j’ai continué le plan-séquence.
Comme pour l’oralité du personnage, sa complexité de caractère, je voulais être le plus réaliste possible : éviter les artifices communs de l’écriture, les pauses, les ellipses, les chapitres même (il n’y en a pas). Je tenais à ce que le lecteur et la lectrice se retrouvent à la place de Hakim, pour le meilleur comme pour le pire, dans un véritable « stream of consciousness ».
Et puis vu sous un tout autre angle, c’est un roman classique, au sens français du terme : on a une unité de temps (tout se passe en moins de vingt-quatre heures), d’action (la fuite effrénée de Hakim) et de lieu (on reste tout du long dans la tête de Hakim, et on ne sort pas d’Île-de-France).

Bepolar : Vous êtes traducteur. Est-ce que c’est une activité qui influence celle d’auteur ? Et si oui comment ? Et peut être aussi vice et versa ?
Diniz Galhos : J’ai commencé à écrire longtemps avant de traduire des romans, et c’est cette expérience des mécaniques d’un texte qui m’aide dans la traduction. Dans ma pratique, la compétence linguistique pure (connaissance de la langue d’origine) ne représente que 30 % du travail de traduction : les 70 % restants, c’est de l’adaptation. Ce serait donc plutôt mon écriture et mes lectures qui nourrissent mes traductions. Cela dit, Prison House a eu une influence sur mon approche de l’écriture de Hakim. C’est le premier roman que j’ai traduit de John King, l’écrivain le plus courageux que j’aie jamais connu (et qui est en plus un mec adorable). Pour certains passages très intimes du narrateur, il a puisé directement dans des souvenirs personnels pour nourrir sa créature : certains détails ne peuvent être inventés, ça se sent quand on les lit, d’autant mieux quand on est dans ce rythme délibérément très lent et méticuleux de la traduction. Donner à ce point chair à un personnage fictif, une telle densité d’existence en remuant dans des plaies qu’on n’aurait pas forcément envie de fouiller, c’est ce que j’ai essayé de faire dans Hakim, parce que cette histoire, son propos, les idées exposées me l’imposaient : engager un peu plus que des mots, sans pour autant tomber dans le dolorisme, l’exhibitionnisme et la facilité.

Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ? Quels sont vos projets ?  
Diniz Galhos : Des traductions sont en train, ou pas loin de l’être (entre autres, Slaughterhouse Prayer, roman vegan de John King, et Marabou Stork Nightmares d’Irvine Welsh, son meilleur roman selon lui). Et pour l’écriture, j’attends la réouverture des salles de sport pour mes repérages :D

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