- Auteur : Thomas Sands
- Editeur : Les Arènes
Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
Thomas Sands : Comme un long chaos qui s’ordonne peu à peu. Une urgence d’un côté, le désir de raconter la trajectoire d’un flic aujourd’hui d’autre part, et le besoin de me plonger dans une période violente et étrange de notre Histoire enfin. Cette dernière déterminant le fil d’Ariane du livre, sa colonne vertébrale -ou son inconscient, disons (celui qui hante le pays depuis 60 ans, tel un impensé persistant). Dit autrement : la mort de mon père, l’actualité et la guerre d’Algérie.
Bepolar : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer la thématique de la relation père fils, entre ce fils flic et ce père d’origine algérienne ?
Thomas Sands : Le fait que souvent les pères et leurs fils ne parlent pas la même langue… Que leurs chemins ne se croisent pas aussi souvent qu’on le pense. Que leurs attentes respectives, leurs espérances sont déçues – et que les fautes, bien entendues, sont absolument partagées…
Comme dans beaucoup de familles françaises, la guerre d’Algérie, son souvenir, son empreinte, rodaient au cœur noir de la mienne, même si ma génération en est très éloignée finalement. C’est devenu l’histoire muette des grand-parents -et pourtant… Il reste les albums photos, les lettres anciennes, la douleur toujours présente, la honte. La violence, donc. Je ne crois pas que les choses soient simples, évidentes, tranchées. Les deux côtés d’une frontière m’intéressent toujours. Je ne voulais pas m’en tenir à une vision « française » de cette période. Mais faire un pas de côté, capter un écho. Le regard éloigné cher à Levi-Strauss, disons. L’Algérie, donc…
Bepolar : Vincent est capitaine de police. Quand son père meurt, il plonge dans l’Histoire de celui ci, notamment pendant la guerre d’Algérie et après, lors de son arrivée en France. Qui est Vincent pour vous ? Comment vous le présenteriez ?
Thomas Sands : Vincent, c’est un exilé. L’exil n’étant pas une catégorie de la géographie… Disons qu’il est un étranger à lui-même et que seul son travail -dans une société en totale déliquescence- lui donne l’illusion d’être au monde, ou plutôt du monde, jusqu’à ce que l’inutilité même de sa mission lui apparaisse… Il lui reste ses racines… Il va tenter de les mettre à jour, ou de les arracher, ou de les accepter… C’est selon…
Bepolar : C’est une période historique très riche. Comment vous êtes vous documenté ?
Thomas Sands : À l’instinct comme toujours, avec beaucoup de rigueur aussi. Des lectures, des rencontres, un peu de mémoire familiale. Et puis ma passion pour la photographie. Je me suis plongé dans les reportages de l’époque. Pas seulement les récits militaires, mais la vie des deux sociétés -algérienne et française. La vie des femmes, la vie des hommes. Il n’y a que les gens qui m’intéressent. Leurs yeux sont des feux mal éteints/Leurs cœurs bougent comme leurs portes… Je plonge dans ces regards, je pousse un peu les portes, voilà mon travail.
Bepolar : Il y a ce lien donc entre ce père disparu et son fils. Un lien pas toujours très simple. Comment avez-vous construit votre roman ?
Thomas Sands : Le chemin du deuil, mon Capitaine…
Pour la construction, j’ai laissé mes personnages me guider. Je ne suis que leur scribe. Il faut aimer ses personnages, leur faire confiance, les écouter et les entendre…
Bepolar : Il est sorti il y a quelques semaines. Quel regard portez vous sur cette période où le livre est dans les mains des lecteurs et des lectrices.
Thomas Sands : Je suis curieux… Attentif… Je fais confiance… Je n’y pense pas vraiment, je crois. Je regarde devant, le prochain livre, les prochains personnages qui m’appelleront. Tout cela ne dépend plus de moi, vous savez…
Bien sûr, j’aimerais qu’il trouve son public. Que de livre en livre se noue une sorte de dialogue entre les lectrices, les lecteurs et moi. C’est pour cela que je ne souhaite pas apparaître. Seul le(s) livre(s) comptent…
Pour le reste, j’aimerais vraiment qu’un cinéaste, qu’un acteur s’en empare, et en donne sa version. J’y travaille.
Bepolar : Sur quoi travaillez vous ? Quels sont vos projets ?
Thomas Sands : Un livre de photographies. Une longue échappée en images : de l’hôpital sous Covid, de la longue nuit des confinements jusqu’à la lumière retrouvée. Les derniers vestiges de la liberté sous le ciel, si l’on veut. Beaucoup d’images, quelques textes, entre récits et haïkus soudains… Du noir et blanc, évidemment. Les paysages comme des fragments, les visages comme des paysages. Cela s’appelle pour l’instant : A Mad Dog Promenade.
Et puis un nouveau roman : quarante pages pour l’instant.
La vie même, en somme. La mienne en tout cas… Je n’en voudrais pas d’autres.