- Réalisateurs : Jon Watts - Jonathan Stein - Robert Levine
- Acteurs : Jeff Bridges, John Lithgow, Amy Brenneman, Alia Shawkat, E.J. Bonilla
Impressionnante tant dans son écriture que sa réalisation, la série "The Old Man" ne résiste pourtant pas toujours à la facilité. Reste que cette vitrine idéale pour l’acteur Jeff Bridges, plus proche du terminator que du vieux briscard flétri, ne manque pas d’atouts.
Dan Chase n’est pas un vieil homme retraité comme les autres. Dans une autre vie, ce dernier était un agent de la CIA. En fuite depuis plusieurs années, il est désormais rattrapé par ses démons. Par un brusque retournement de situation prenant la forme d’une tentative d’assassinat, Dan est contraint d’assumer son passé pour espérer survivre et sauver sa fille…
La formule a depuis longtemps fait ses preuves : un acteur ou une actrice de renom, légèrement perdu(e) de vue, déboule en rôle-titre dans une série (ou un film). Série que l’on jurerait tout entière écrite juste pour le ou la mettre en valeur – une dynamique qui porte quelquefois ses fruits, d’autres fois non. Ce dispositif s’applique cette fois à Jeff Bridges, dont les apparitions demeuraient assez confidentielles voire minimalistes ces dernières années – la faute notamment à un lymphome. Pas un hasard donc si l’acteur culte de "The Big Lebowski" ou encore "True Grit" apparaît également au générique de "The Old Man" comme producteur exécutif. C’est que tout ici, absolument tout, semble avoir été pensé pour célébrer l’acteur et sa gueule unique : les gros plans étudiés, les poses nonchalantes, les scènes d’action virevoltantes. Et pour cause : la série célèbre en creux, certes sans idéalisme puisque sur le mode de l’antihéros, la renaissance d’un vieil homme, passé du statut de parfait inconnu flétri par le temps, à celui de fugitif primordial et cachant par-dessous sa pseudo décrépitude une force et une vélocité insoupçonnées. Cette révérence un peu forcenée de Jeff Bridges mérite-t-elle que l’on s’y attarde ?
Ce qui fascine à première vue dans "The Old Man" n’est pas tant son récit classique voire vieillot – à savoir si justement le récit ne recherche pas en filigrane l’analogie avec le temps qui passe et le corps qui se lézarde - que la multiplicité de ses facettes. Entre le salon d’un vieillard a priori décati et le roulement de mécanique de l’action débridée, il y a tout un monde inconciliable que la série franchit d’un battement de cils, et ce avec ingéniosité – rien ne dépare au gré de cette mutation, que ce soit le scénario ou la mise en scène. Horreur, drame poisseux à la Haneke (tendance AMOUR), thriller paranoïaque sur fond d’espionnage, action déjantée… on ne sait au départ plus exactement où donner de la tête tant "The Old Man" regorge de fausses pistes ou mélange simplement les genres en maestro. Le temps des deux premiers épisodes, on frise même la virtuosité. L’ensemble, peut-être un brin tape-à-l’œil mais pourtant remarquable, se révèle en effet extrêmement maîtrisé. La mise en scène expressionniste, par exemple, explore abondamment les motifs de l’obscurité et de la lumière. Au-delà de la beauté du cadrage et de la composition, cet usage du clair-obscur possède un mérite : il contourne la trop classique opposition entre le bien et le mal pour illustrer la perte de repère du protagoniste vieillissant, piégé par l’oubli et en quête de clarté.
Reste que ce sujet de fond passionnant et propice à l’expérimentation, la vieillesse, finit très vite par poser problème. Car sans surprise, "The Old Man" ne le convoque qu’un temps avec pertinence et honnêteté, préférant au bout du compte surtout célébrer la masculinité et la virilité retrouvée – tout cela ressemble d’ailleurs beaucoup, en mieux, en plus inégal mais pas en plus original, au film "Nobody" (Ilya Naishuller, 2022). À croire que le personnage incarné par Jeff Bridges, de même que l’acteur tout court, s’avère vraiment trop fort pour succomber à un phénomène aussi mainstream que la sénescence. Il n’empêche que ce motif de la vieillesse, même si beaucoup trop cousu de fil blanc et accessoire, apporte à "The Old Man" une atmosphère crépusculaire. Cela tombe bien puisque par-dessous le thriller paranoïaque et l’espionnage, la série développe une filiation avec le western, où Bridges serait une sorte de vieux cowboy retiré mais brusquement hanté par une pulsion de mort – un peu à la manière d’"Impitoyable" (Eastwood, 1992), western crépusculaire par excellence.
Pourtant, passé quelques épisodes liminaires assez brillants et captivants, la série accuse une baisse de régime vraiment flagrante. Un temps presque fascinant et magnétique, le personnage de Dan Chase, aux côtés de ses deux chiens de garde inflexibles, finit par lasser. Même la réalisation et le scénario apparaissent finalement plus timides et en retrait. Dès lors, "The Old Man" perd en substance. Puis ses rebondissements et flashbacks s’égrainent avec un certain automatisme. Ce que l’on aurait pu prendre au départ pour une série un poil avant-gardiste à travers ses thématiques et sa mise en scène au cordeau se contente en définitive du minimum, cela non sans un certain académisme. Dommage, car l’espace d’un instant, la silhouette de la série et ses fulgurances laissaient présager quelque chose dans la veine d’un S. Craig Zahler ("Traîné sur le bitume") en plus conformiste, ou encore d’un Tarantino en moins profond. Pas de quoi tourner le dos à la série bien sûr, plutôt agréable en général et dopée par un casting de premier choix (outre Jeff Bridges, évoluent ici l’inénarrable John Lithgow, la déroutante Amy Brenneman, ou encore l’intense Alia Shawkat), mais tout de même : "The Old Man" flirte trop souvent avec la platitude alors qu’elle laissait présager le meilleur dans ses premiers épisodes.
Développée par Jonathan E. Steinberg et Robert Levine, tirée du roman éponyme de Thomas Perry (2017), la série "The Old Man" est disponible sur Disney+.