- Réalisateur : Albert Pinto
- Acteurs : Anna Castillo, Tony Corvillo, Tamar Novas
Un huis-clos qui se déroule dans une grosse caisse perdue en pleine mer, le dispositif a de quoi séduire. Et pour cause, "Nowhere" ne ménage pas son audience côté suspense. Mais ce débordement d’effets n’estompe que trop peu le tableau consensuel et sans irrégularité du film.
Nowhere
De : Albert Pinto
Avec : Anna Castillo, Tamar Novas, Tony Corvillo
Genre : suspense, drame
Pays : Espagne
Année : 2023
Imaginez une Europe dystopique dévastée par le totalitarisme, où – en vue notamment de préserver les rares ressources au profit des plus puissants -, les femmes et les enfants finissent emprisonnés dans des cages jusqu’à ce que mort s’ensuive. Dans cette Europe où les pouvoirs politiques embrassent un nouveau genre de nazisme, seule l’Irlande refuse de se conformer à ces pratiques atroces. Raison pour laquelle de nombreuses personnes tentent de rallier l’île d’émeraude via des passeurs. C’est justement le cas de Nada, une femme enceinte qui se dissimule dans un container en espérant arriver à bon port et ainsi sauver son enfant d’une mort certaine. En chemin, les péripéties abondent : tous les passagers clandestins, exceptée elle, sont exterminés ou succombent à moult fléau. Clou du spectacle, le container qui l’abrite finit par tomber dans la mer à la suite d’une tempête et dériver. Débute alors un huis-clos grandiloquent, sur le mode survival maritime et wonder woman.
Pour sûr, "Nowhere" ne fait pas les choses à moitié. Ses scénaristes (Ernest Riera, Miguel Ruz, ou encore Indiana Lista) esquissent une dystopie bien pimentée, où le contexte géopolitique – qui reste délibérément flou et général, par facilité – vaut moins par sa réelle substance que pour ses effets sentencieux. Ne cherchons pas ici de la nuance mais une atmosphère chaotique en guise de toile de fond. Voilà juste un monde ravagé par la terreur et asséché par la raréfaction et le dénuement. Cette ambiance apocalyptique, bien moins réussie par exemple que celle infiniment plus ambiguë du film "Les Fils de l’Homme" (Alfonso Cuaron, 2004), multiplie les clichés tout en immergeant le spectateur – c’est sa force – dans un univers donné. Le dispositif ne cherche aucunement à glisser véritablement un sous-texte politique ou social, mais plutôt à préparer le terrain du huis-clos à venir, afin de le rendre plus immersif et sans issue. Condamnée à errer dans un monde d’oppresseurs et de tyrans sanguinaires, Nada doit en plus maintenant affronter la fureur des éléments. Pour survivre, il lui faut alors rivaliser d’ingéniosité, de ténacité et de courage.
S’il fallait s’accorder sur un point, ce serait sur l’économie de moyens assez remarquable de "Nowhere". Sans finesse mais en définitive avec seulement quelques bouts de ficelle, le film parvient à tenir en haleine ses spectateurs voire quelquefois à distiller un suspense intense. De même, louons le portrait de femme invulnérable ébauché par le long-métrage. Seulement, là où "Nowhere" pèche terriblement, c’est sur l’excès. Car à force de cocher toutes les cases des records les plus délirants, multipliant ainsi les coups de théâtre ou circonstances les plus invraisemblables, le film frise malgré lui le simulacre. Un réel trop-plein sape en ce sens considérablement la crédibilité de Nada, que l’on croirait par moment tout droit sortie d’une parodie.
Wonder woman par excellence, la protagoniste s’adapte à toutes les situations, même les plus extraordinaires. Son apparence souvent trop apprêtée au regard des événements et son sex appeal trop rarement mis à mal, donnent à tout cela une tonalité assez artificielle – on est loin par exemple des climax glauques de "The Descent" (Neill Marshall, 2005) ou d’"Eden Lake" (James Watkins, 2008). En témoigne la scène de l’accouchement, un peu risible. Quant à ses images trop léchées et sa mise en scène très lisse, elles produisent le même écueil. Dans un film, un peu d’hypocrisie ou de fantasme ne fait certes pas toujours de mal, mais lorsque l’on prétend dépeindre une histoire au moins en partie sinistre, le sordide et l’impureté ont sans doute lieu d’être. Or, cette sensation déplaisante (mais nécessaire) n’émerge jamais dans "Nowhere", dont les plans lustrés et sublimés – dans une rhétorique quasi publicitaire – ne peuvent prétendre éveiller l’effroi. Même un divertissement ne peut systématiquement contourner ces difficultés et prises de risque, sous peine d’assécher et d’appauvrir par principe les intrigues et leur réalisation.
"Nowhere" est disponible sur Netflix depuis le 29 septembre 2023.