- Réalisateur : Anne Le Ny
- Acteurs : José Garcia, André Dussollier, Capucine Valmary
Sous les dehors du polar, "Le Torrent" dissimule davantage une tragédie familiale qu’une réelle intrigue criminelle. Qu’importe : cette œuvre hétéroclite, par-delà ses imperfections, touche et parfois captive.
Le Torrent : retour sur un thriller plus sensible qu’il n’y paraît
De : Anne Le Ny
Avec : José Garcia, André Dussollier, Capucine Valmary
Genre : drame, thriller
Année : 2022
Une dispute éclate entre Alexandre et sa jeune épouse, Juliette. Celle-ci s’enfuit et chute mortellement. Mais persuadé de passer pour un meurtrier aux yeux de la police, Alexandre convainc sa fille Lison de mentir pour sauver sa peau…
Il serait trompeur - et peut-être malvenu - de considérer "Le Torrent" spécifiquement comme un thriller. Car si ce sixième long-métrage d’Anne Le Ny ménage quelquefois un certain mystère, le suspense reste à dessein en retrait. Comme si les jeux étaient déjà faits depuis le départ, pour mieux botter en touche et ainsi sublimer en premier lieu le drame. Il ne s’agit pas de dire que les péripéties ébauchées dans "Le Torrent" manquent de piquant, mais plutôt d’avancer que leur aridité permet a contrario de déconstruire sciemment la figure attendue du rebondissement. Comme s’il était question de générer autre chose, pour mieux distiller le drame psychologique. Autrement dit, la substance du film ne se trouve pas nécessairement là où on l’attend de prime abord.
Le long travelling liminaire remontant le fil du torrent, avec en bout de course une bottine esseulée de femme, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : l’écriture d’Anne Le Ny (et d’Axelle Bachman), quitte à flirter avec la naïveté ou la maladresse, vise en effet bien plus l’allégorie dramatique que le frisson du whodunit ou l’angoisse de la traque policière. Quand bien même abondent à première vue quelques objets transitoires typiques du polar (autant de fétiches à l’instar des chaussures, de la voiture, de la clé USB…) pour esquisser le doute, ceux-ci servent surtout à brouiller les pistes. Et pour cause : les motifs les plus essentiels dans "Le Torrent" apparaissent principalement ailleurs en filigrane, disséminés dans les contrepoints du long-métrage au gré d’une sorte de paysage mental. Lit de fleuve tortueux, troncs décharnés, vent qui souffle en rafales, pluie qui ruisselle, neige qui tombe… les éléments et la nature illustrent l’intériorité des protagonistes, rendant palpable l’indicible.
Alexandre le père obséquieux et narcissique, Lison sa fille aussi dévouée que torturée, Juliette l’épouse malheureuse malgré les apparences, Antoine l’amant hanté et bienveillant, Patrick le père devenu limier pour tromper l’affliction... dans "Le Torrent", les tourments restent enfouis et presque refoulés. Quoi de mieux alors que les aspérités de l’horizon ou encore les caprices de la météo pour leur donner matière ? Bien sûr, sur ce créneau surinvesti par le cinéma d’art et d’essai, Anne Le Ny ne prétend pas jouer les Tarkovski ou les Bergman. La puissance picturale des plans dans "Le Torrent" ne joue évidemment pas dans cette cour-là. Pour autant, la réalisatrice tente quelque chose de littéraire et il faut donc le saluer. Non dénué de défauts et de faiblesses – la faute à une écriture sans doute trop littérale et pas assez double -, le résultat n’en demeure pas moins louable à certains égards.
Ainsi, aussi attendue, conventionnelle et rebattue apparaisse la structure du film "Le Torrent", elle réserve en creux quelques subtilités bienvenues. Quelques bonnes idées qui pourraient presque parfois laisser affleurer l’émotion ou le trouble. Il faut certes, afin de se laisser prendre, se débarrasser du vraisemblable : le lien par exemple entre la flagornerie dégoulinante d’Alexandre (José Garcia, qui nage entre deux eaux) et l’être aimant qu’il devient par-delà ses calculs manque clairement de liant. De même, le déroulement de l’intrigue ressort trop souvent cousu de fils blancs. Il n’empêche qu’au prix de telles approximations, "Le Torrent" dispense quelques belles séquences, notamment entre Patrick (André Dussollier, multiple) et Lison (Capucine Valmary). De quoi faire du film, à défaut d’une œuvre mémorable, une expérience loin d’être indigente et même quelquefois presque sensible. Dommage que la trivialité de son final, ses trop nombreux lieux communs et sa mise en scène aussi sage que proprette, ne ternissent autant l’ensemble. Et pourtant par-delà les écueils, surnagerait pratiquement un semblant de justesse. Ce n’est déjà pas si mal…
Le Torrent est disponible en Blu-Ray à partir du 30 mars 2023.