- Auteur : Benjamin Fogel
- Editeur : Rivages noir
Bepolar : Comment est née l’idée de votre roman ? Qu’aviez-vous envie de faire ?
Benjamin Fogel : Quand j’ai commencé à travailler sur La Transparence selon Irina dans l’optique d’une publication chez Rivages, il a tout de suite été clair dans ma tête que je voulais faire une trilogie racontant l’histoire du système politique de la Transparence, comme successeur au Capitalisme. Après avoir raconté le monde de la Transparence en 2058 dans Irina, il fallait expliquer les mutations de la société qui ont concouru à la nécessité de mettre en place un nouveau système : la crise écologique, les méfaits de l’anonymat, les inégalités sociales… C’est chose faîte avec Le Silence selon Manon qui se déroule en 2025.
Bepolar : Vous évoquez le cyber harcèlement et aux masculinistes et aux incels. Qu’est-ce qui vous intéressait dans ces thématiques ?
Benjamin Fogel : Je voulais parler du monde actuel, un monde au bord de la rupture, consumé par la haine de l’autre, torpillé par les fausses informations et les manipulations de l’opinion. Nous sommes en plein dans l’ère post-Trump. Il est impossible de débattre. Des initiatives progressistes emplies de bon sens sont moquées et conspuées. Cette impossibilité à dialoguer peut être réduite dans sa plus simple expression aux tensions entre les hommes et les femmes, consécutives aux revendications nécessaires des féministes. À partir de là, je me suis naturellement intéressé au mouvements masculinistes, qui font de l’évolution de la place des femmes un drame personnel. Parler de leur haine, c’était un moyen de parler du patriarcat, et par extension du capitalisme, soit d’une société qui freine des quatre fers pour se remettre en question.
Bepolar : Comment vous êtes vous documentés sur eux ? Comment les avez-vous incarné ?
Benjamin Fogel : Autant le phénomène incels est peu connu en France, autant il est très documenté aux États-Unis. Les attentats et tueries perpétrés là-bas par des masculinistes ont donné lieu à des enquêtes, des portraits. Par ailleurs, il est aisé de trouver en ligne des conversations entre incels. Néanmoins, je n’ai pas reproduit exactement les propos que l’on peut y lire. Sur les forums masculinistes, il y a parfois une telle violence et une telle vulgarité dans les propos que si j’avais repris les termes en l’état, on aurait trouvé que le livre sombrait trop dans l’obscénité.
Bepolar : Parlez-nous du groupe Significant Youth. Qui sont-ils ?
Benjamin Fogel : Significant Youth est un groupe de hardcore, mené par Yvan Langalter, l’un des personnages principaux du livre, qui est à l’origine d’un revival straight edge. Le straight edge est un courant musical, né dans les années 1980 avec des groupes comme Minor Threat. Il mélange une musique punk abrasive avec des positions socio-politiques fortes, s’apparentant chez certaines formations à des dogmes : ne pas boire, ne pas fumer, ne pas avoir de relations sexuelles dénuées de sentiments… Significant Youth reprend la majorité de ces principes, mais y ajoute l’engagement féministe. La musique du groupe pourrait ressembler à un mélange entre Fugazi et Converge.
Bepolar : Est-ce qu’on peut dire que ce livre porte une forme d’engagement autour de la manière dont la haine peut se répandre, notamment à travers les réseaux sociaux ?
Benjamin Fogel : Oui, en s’attaquant à la masculinité toxique, Le Silence selon Manon dénonce la manière dont les réseaux sociaux sont devenus une place de lutte et de domination, loin de l’idéal de la place de débats constructifs dont les pionniers du web rêvaient. Internet est devenu pire que le monde réel, alors qu’on aurait pu imaginer que, protégés par l’anonymat, nous saurions recréer en ligne une communauté plus égalitaire. C’est aujourd’hui, l’antichambre de la réalité où chacun peut faire ressortir la pire part de lui-même.
Bepolar : Qui est le commissaire Sébastien Mille ? Comment le voyez-vous ?
Benjamin Fogel : Sébastien Mille est un personnage pivot dans le livre. Des personnages masculins, c’est celui qui est le moins « toxique », même si sa vie affective n’est pas à la hauteur de ses espérances. C’est un policier atypique. Alors que les policiers sont normalement garants de la justice, quoi qu’il en coûte, Sébastien Mille se sent plus concerné par la morale, par la nécessité de faire du monde une meilleure place où vivre.
Bepolar : Pourquoi avoir décalé votre intrigue dans un futur très proche, dans 4 ans ?
Benjamin Fogel : Plusieurs éléments dans Le Silence selon Manon relèvent de l’anticipation : l’apparition des ultra incels et des neo straight edge, la création de My French Réseau et du Consortium international pour l’environnement… On est déjà en train de glisser vers l’univers de La Transparence selon Irina.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ? Quels sont vos projets ?
Benjamin Fogel : J’ai beaucoup de nouveaux projets en cours. Mais les deux dont je peux déjà parler sont une courte BD en tant que scénariste, et le tome 3 de ma Trilogie de la Transparence, qui sera une suite directe de La Transparence selon Irina et du Le Silence selon Manon.