- Auteur : Gaet’s
Sombres, grinçants et diablement bien construits, les trois tomes de RIP (Prix Quais du Polar) montrent à quel point BD et romans noirs font bon ménage. On y suit une équipe de nettoyeurs, qui passent chez les personnes qui viennent de décéder et qui n’ont pas d’héritiers. Leur job : récupérer tout ce qui a de la valeur. On a posé quelques questions au scénariste de la série : Gaetan Petit, alias Gaet’s, qui nous a en plus de ses réponses envoyé plein de dessins...
Bepolar : Comment est née l’idée du scénario de RIP ?
Gaëtan Petit : L’idée de RIP me vient d’une rencontre il y a une dizaine d’années avec un type, qui avait fait dans le passé un job quasi similaire à celui de Derrick, m’ayant raconté grand nombre d’anecdotes tout aussi sordides les unes les autres… L’univers m’a fasciné… Je suis, par la suite, allé le voir et rencontrer ses anciens collègues dans le bistro et le hangar où ils accumulaient les meubles et objets destinés à la revente aux enchères…
J’avais l’ambiance, le métier, l’atmosphère… il me fallait inventer une intrigue. Ainsi est né le premier tome consacré à Derrick. Mais les idées en amènent d’autres et l’envie d’approfondir davantage les vies de mes personnages… d’un one shot consacré à un personnage, je suis passé à plusieurs destins croisés et la série RIP est née.
Bepolar : Comment vous êtes-vous rencontrés avec Julien Monier, et comment avez-vous travaillé ensemble ?
Gaëtan Petit : Julien et moi avions déjà publié différentes bandes dessinées aux éditions Petit à Petit. Nous n’avions jamais travaillé ensemble.
C’est notre éditeur, Olivier, qui en me voyant essuyer plusieurs refus de dessinateurs et de maison d’éditions qui nous a mis en relation.
Il ne fallait pas avoir froid aux yeux et avoir des épaules solides pour se lancer dans une aventure de plus de 6 ans à dessiner et pénétrer dans une ambiance morbide et austère.
Par la suite, j’ai discuté plus d’une heure au téléphone avec Julien. Nous avons très vite découvert que nous partagions de nombreuses références, que ce soit cinématographiques, dans nos lectures ou encore dans la musique.
Du coup à la lecture du scenario, Julien a accepté et a commencé à plancher sur RIP tome 1. Il m’a envoyé différentes recherches de personnages et m’a proposé quelques dessins dans le ton de RIP. Par la suite, nous nous sommes rencontrés autour d’une bière, on a discuté de la série complète.
Depuis, je lui raconte l’idée générale du tome à venir, avant l’écriture, et je lui envoie le scenario chapitre par chapitre…
C’est vraiment un travail à 4 mains.
Je sais où je vais dans le scenario, j’ai l’ossature générale de la série, mais nous échangeons beaucoup pour la construction de celle-ci.
Bepolar : Quel est votre rapport aux dessins ? Est-ce qu’ils reflètent totalement ce que vous aviez en tête ? Et est-ce qu’au fil des tomes ils vous ont influencé pour l’histoire ?
Gaëtan Petit : Julien a beaucoup de talent. Son dessin est semi-réaliste, il caricature légèrement les traits des personnages pour qu’on s’en détache un peu, mais il a su représenter l’atmosphère et les décors que je souhaitais. Sans parler de ses palettes de couleurs qui sont épatantes.
Son style convient parfaitement au scenario.
J’essaie toujours, dans chaque tome, de trouver des nouveaux lieux atypiques et nous nous amusons à y glisser quelques clins d’œil et références.
Le dessin n’influence pas trop l’histoire puisqu’il s y colle parfaitement… comme un cadavre sur un matelas. (rires)
Bepolar : Quelles ont été vos influences pour faire cette série (on pense à quelques séries policières bien entendu) et qu’aviez-vous envie de faire ?
Gaëtan Petit : J’ai énormément d’influences. En série TV, j’aime beaucoup les séries telles que The Wire avec différents points de vue, OZ pour les caractères malsains et affreux des protagonistes, Misfits pour l’humour grinçant et l’esthétisme des lieux…
En bande dessinée, il y avait les Berceuses assassines qui se découpait en tiroir également.
Et pour ce qui est des références cinématographiques : Usual suspect, les films de Tarantino, de Fincher, etc… j’aime les twists, les rebondissements de dernière minute, les cliffhangers qui frustrent et qui donnent envie de plus…
Je viens de finir récemment le roman de Colum McCann : « Et que le vaste monde poursuive sa course folle », dans lequel il nous dresse les portraits de marginaux de New York avec une finesse, une précision et une si belle dose d’humanisme… J’adore ça. Des portraits dans lesquels on peut se retrouver parfois… Des destins croisés, des chamboulements de vie… D’ailleurs les citations dans les pages de chapitre proviennent quasiment tout le temps d’auteurs que je lis, d’artistes que j’écoute, de films que j’ai appréciés… Je citerai ce dernier roman d’ailleurs dans le tome 4.
En bande dessinée, j’aime beaucoup les traits de Frank Pe, Yslaire, Guarnido, Sylvain Vallée… mais je lis vraiment de tout. En termes de scenario, je suis toujours très impressionné par les découpages et l’écriture de Fabien Nury, Wilfried Lupano et Philippe Tome… Je lis ce dernier depuis tout petit avec la série SODA et plus tard j’ai découvert les Berceuses assassines dont la série se construit à tiroirs et forme un véritable puzzle comme RIP.
Bepolar : Vous êtes du côté des "nettoyeurs", de ce qui passent dans les habitations à la mort de quelqu’un avant les pompes funèbres. On y croise des cadavres en putréfaction, des odeurs pestilentielles et pas mal de choses pas très ragoutantes du côté de la bassesse humaine. Parlez-nous un peu de la documentation ? Comment avez-vous préparé votre histoire ? Et pourquoi avoir voulu travailler particulièrement autour de cette activité ?
Gaëtan Petit : Il n’y a pas besoin de beaucoup de documentations pour les lieux où sont retrouvés les corps… Il m’a fallu juste lire quelques faits divers et utiliser les souvenirs de ce qu’on m’avait raconté sur ce métier… Les odeurs, les gaz, les « collés »…
Après, tout vient de mon imagination. Ainsi on passe d’un jeune geek sortant peu qui meurt chez lui d’un accident vasculaire, à une vieille femme qui décède de vieillesse, en passant par un homme dépressif qui se colle une balle dans le citron… Il faut imaginer les vies de ces personnages avant que la grande faucheuse ne passe…
Ensuite pour le personnage d’Ahmed, j’ai dû effectuer plus de recherches autour du métier d’expert en entomologie forensique( faune des cadavres ), des différentes escouades de mouches arrivant les unes après les autres sur les corps en putréfaction, de l’utilisation de celles-ci lors d’enquêtes criminelles…
Dans ce tome 3, il y a des scènes où le personnage évolue dans des décors que je connais (comme l’Aître St Maclou à Rouen) et que j’ai arrangés à l’utilité de mon histoire ( j’y ai ajouté une piscine de formol)
Cette idée de piscine me vient du récit de mon médecin sur ses études et sujets d’études qu’il allait récupérer dans une piscine de formol, jadis. (ça ne se fait plus, en France, à présent )
Bepolar : Est-ce que vous l’avez aussi conçu avec une idée d’histoire sociale,
racontant un milieu et le quotidien de gars qui font le sale boulot ? Parlez-nous d’ailleurs de l’équipe que vous mettez en scène. Quel regard portez-vous sur eux ?
Gaëtan Petit : Mes personnages sont tous un peu braques mais ils transportent une belle part d’humanité, parfois bien camouflée. Ils ont un côté émouvant. On peut même les trouver touchants par moment. Ce sont des égarés…
Ils ont tous été enfants, avec des rêves. L’un voulait être véto, l’autre voulait être un type bien, l’un voulait un peu de reconnaissance de ses parents… Qu’est ce qui fait qu’ils arrivent dans ce sinistre labeur. Pourquoi la vie les a placés là ?
Et est-ce vraiment une vie ? En sort-on indemne ? ou pas ! Tant de questions que les lecteurs pourront se poser…
Chaque lecteur a son préféré… Et cela varie vraiment d’une personne à une autre.
Certains vont être touché par le côté paternel de Maurice, d’autres par le désespoir de Derrick, certains par le langage de Dédé…
J’essaie, malgré l’atmosphère lourde et poisseuse, d’apporter une petite part d’humanité dans cette série.
Bepolar : Un des aspects les plus brillants de RIP, c’est le découpage de
l’intrigue. Parlez-nous de la manière dont vous avez conçu le scénario
?
Gaëtan Petit : C’est un véritable puzzle et un gros boxon dans ma tête.
RIP est une histoire à tiroirs où chaque tome sera centré sur un personnage de la série avec ses déboires, son vécu, ses casseroles et son point de vue sur les différents évènements… Ainsi des scènes d’un tome vont être revues dans un autre et perçues différemment suivant l’angle de vue du personnage.
Au-dessus de mon bureau, j’ai un tableau couvert de notes, de traits reliant des points d’un album à l’autre. Il ressemble beaucoup au tableau d’un détective.
Il ne faut pas s’emmêler les pinceaux et réussir à entrainer le lecteur là où je veux qu’il aille… c’est-à-dire souvent dans le mauvais sens, sur de fausses pistes…
J’aime bien ce genre de complexité dans les scenarios. Je m’amuse et me lance des challenges ainsi. Ça m’éclate !
Bepolar : On s’est régalé avec les trois premiers tomes. Est-ce qu’il y en aura
d’autres et que pouvez-vous nous dire dessus ?
Gaëtan Petit : Il y aura 6 tomes en tout.
Nous tenons à clore la série. La boucle sera bouclée au 6eme tome.
6 personnages à suivre : Après Derrick, Maurice et Ahmed… Albert, Fanette et enfin Eugène nous révèleront leurs vies et répondront à certaines questions laissées en suspens dans les tomes précédents.
Au fur et à mesure qu’on avance, des énigmes sont laissées et d’autres trouvent leurs réponses…
Mais à la fin, eh bien… vous verrez ! (rires)