
- Auteur : Daniel Martinange
Daniel Martinange trace sa route d’écrivain dans les mondes de la science-fiction et du polar depuis de nombreuses années. Son dernier roman, Les Malfaisants, vaut à la fois pour son enquête, son humour et aussi pour sa galerie de personnages... Interview...
Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman, Les Malfaisants ?
Daniel Martinange : De réalités. Les progrès techniques intéressent beaucoup certaines organisations criminelles qui cherchent à les capter ou à en tirer profit d’une manière ou d’une autre (ce peut être plus rentable que le trafic de drogues). Certains gouvernements aussi, dirigés par des chefs d’Etat nets d’un côté, voyous de l’autre, ainsi que des « intermédiaires internationaux », dont l’entregent et les relations leur permettent de truander à grande échelle avec la complicité involontaire ou volontaire (à voir...) de responsables politiques ou industriels. Ensuite, il y a l’importance en France du grand banditisme et des réseaux mafieux, français ou étrangers. Certains spécialistes du trafic de stupéfiants affirment que la France pourrait devenir un « narco-Etat », et ils en voient et dénoncent les prémisses...
Bepolar : On y suit le commandant Tréboul dans son enquête sur la mort d’un industriel cocaïnomane. Qui est-il ? Comment pourriez-vous nous le présenter ?
Daniel Martinange : Il n’a pas connu ses parents, a eu une enfance ballotée d’orphelinats en familles d’accueil. Vers la vingtaine, il a perdu le grand amour de sa vie, une marginale à sa manière elle aussi, décédée de maladie, sa grande cicatrice toujours ouverte. Il est devenu policier pour faire respecter les lois de l’Etat de droit, pour « défendre la veuve et l’orphelin » et assurer la sécurité de la population. Il a horreur des barbaries. Il n’a pas une bonne opinion de la bourgeoisie. Il attache une importance prépondérante à la culture. Il s’habille ordinairement en dandy, costume impeccable et chemise à jabot, comme un pied-de-nez à ce qui pour lui régit une grande partie de la vie sociale dans notre pays : la vulgarité, les mensonges et les impostures.
Mes personnages, réels ou imaginaires, illustrent en partie ma vision de la société.
Bepolar : Vous avez des personnages hauts en couleurs : une jeune femme au comportement aussi étrange que son accoutrement, une veuve passant ses soirées à se flageller, un ex-mercenaire reconverti dans la sécurité, un adepte du clonage humain amateur de chair fraîche… Comment imaginez-vous vos personnages ? Quels liens avez-vous avec eux ?
Daniel Martinange : J’ai connu des jeunes femmes beaucoup plus étranges encore ( !!!!). J’ai eu un copain qui fut mercenaire pendant plusieurs années. Ses anciens employeurs le pressaient de reprendre du service, il refusait, alors il a disparu des radars, je pense qu’il n’avait pas le choix. J’ignore où il est, et s’il vit encore. Je n’ai pas fréquenté de veuve qui se flagelle (j’aurais craint que ça dérape et qu’elle me file un coup !). Mais je connais des gens qui se flagellent à leur manière : austérité maladive, catastrophisme, nihilisme, sentiment de culpabilité pathologique, esprit de sérieux, hygiénisme à tout crin, absence d’humour, pruderie.
Les malfaisants montre un loustic apparemment humain. A l’image de certains que j’ai fréquentés, inquiétants et dangereux, davantage humanoïdes qu’humains sur le plan comportemental. Par exemple, l’un, par sa violence naturelle, a largement mérité sa trentaine d’années de taule ; l’autre, promis à la même destinée s’il n’était pas mort du sida en détention provisoire, confondait les femmes avec des sextoys.
Mes personnages, réels ou imaginaires, illustrent en partie ma vision de la société. Je me reconnais en partie dans Tréboul (mais je ne suis pas orphelin, et je m’habille autrement), comme en partie dans son adjoint Martinod ; lui aussi a horreur des snobismes, il porte de vieilles fringues de son père officier de police qui s’est suicidé car il ne supportait plus de voir le développement du trafic de drogues et les dégâts causés dans la société et la jeunesse, il fume des Gitanes blanches sans filtre, ceux à qui ça ne plaît pas il les emmerde, et il est fier de sa religion catholique et de son pape (qui personnellement me sont totalement étrangers), c’est courageux de sa part de s’affirmer ainsi contre vents et marées. Il y a aussi de moi dans la jeune lieutenante Chrystèle Mop et sa totale liberté de vie et d’idées. J’ai horreur du prêt-à-penser, j’apprécie de se tenir à l’écart des modes diverses et variées, des brusques engouements collectifs, des révoltes de pacotille, des cacas nerveux hystériques... Ma grand’mère maternelle disait : « Ça leur passera, la chiasse a bien passé au chat. »
Bepolar : C’est un roman noir certes, mais on sourit beaucoup. Comment travaillez-vous le dosage entre polar et humour ?
Daniel Martinange : L’actualité nous pousse chaque jour à l’humour. Sans humour, on est foutu. Oh comme j’aurais aimé qu’Albert Camus, Michel Serres, Jean Yanne et Pierre Desproges dialoguent ! Dans mes polars, l’humour est une pause, une aération, de manière à ce que le lecteur ne se dise pas : Tu parles d’un plomb !, qu’il n’oublie pas que dans l’existence, malgré la noirceur de certaines situations, l’essentiel est d’être en vie et d’en profiter. Quand j’écris, généralement, l’humour vient tout seul.
Bepolar : Tout se déroule dans un village de Rhônes-Alpes, avec des flics venant de St Etienne. Les lieux ont-ils influencé l’histoire ? Quelle place ont-ils dans votre écriture ?
Daniel Martinange : Je me suis inspiré d’une commune du Haut-Forez que je connais bien, petite cité industrielle dans une région très rurale, et non loin de chez moi. Elle abrite une usine dont l’activité est connue dans le monde entier par les joueurs qui aiment faire rouler et aller droit au but (...), et une autre dont les fabrications sont aussi exportées sur les cinq continents. Bien évidemment, ces entreprises, florissantes, n’ont jamais été, de près ou de loin, mêlées à des affaires de banditisme. Mais comme elles sont loin des villes, où il y a peut-être davantage de systèmes de protection, j’ai imaginé qu’elles pourraient exciter l’avidité de... malfaisants. Tout autour, c’est la grande et belle nature du Haut-Forez, avec des lieux qui incitent au mystère, aux légendes, mais où l’on peut aussi imaginer des drames et des histoires tordues (et il y en a eu). Pour écrire, je plante toujours l’action et les personnages dans des lieux que je connais, avec une histoire et un passé, réels ou que j’invente.
ce qui est très important, une ambiance particulière
Bepolar : On y suit de nombreux points de vue, avec des chapitres courts. Comment construisez-vous vos romans ?
Daniel Martinange : Je connais le début et la fin. Je cherche à concevoir un plan détaillé. Mais il m’arrive d’interrompre l’écriture de ce plan, d’entamer celle du roman pendant plusieurs chapitres, puis de reprendre le plan lorsque j’entrevois une suite plus intéressante que ce que j’avais conçu au départ. Et toujours avec une montée du mystère.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que vos lecteurs et lectrices gardent une fois la dernière page tournée ?
Daniel Martinange : L’ambiance, la surprise, l’étonnement, le choc, des interrogations, les personnages.
Bepolar : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Daniel Martinange : Je termine un autre polar avec les mêmes enquêteurs. En projet : deux autres polars, un roman plutôt comique, un autre de pure littérature blanche, et un hybride, qui mêlerait plusieurs genres.
Bepolar : Qu’est-ce qui fait un bon polar ?
Daniel Martinange : A mon sens, une histoire forte, des intrigues inquiétantes, des personnages très typés, et, ce qui est très important, une ambiance particulière.