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L’interrogatoire de Cedric Lalaury

Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
Cedric Lalaury : Bizarrement, il n’y a pas eu d’idée de départ, juste les premiers mots du roman : «  Je n’ai pas eu la curiosité de mettre les pieds à Keowe avant l’âge de trente-cinq ans. Keowe, Caroline du Sud. Loin de l’océan, dans les terres.  » Keowe est le nom d’une ville fantôme et cela m’amusait de la peupler de mes personnages à moi. Quand j’ai eu ces mots en tête, je me suis demandé qui parlait, et c’était évident qu’il s’agissait d’une femme, même si j’ignore pourquoi. Puis il s’agissait de découvrir pour quelles raisons elle aurait pu ou dû découvrir Keowe plus tôt. C’est la première fois que je partais avec si peu pour un début de roman, comme si je devais découvrir l’histoire qui se cachait derrière cette poignée de mots. C’était assez ludique. J’ai donc fait connaissance avec Jessie qui m’a raconté son histoire pendant les premières pages du roman, et l’univers s’est mis en place. C’était très galvanisant d’écrire de cette façon, presque sans rien. Ç’aurait pu être dangereux et je courais le risque d’aller dans le mur, mais ça n’a pas été le cas. L’histoire est comme sortie de la brume. C’est un merveilleux souvenir d’écriture.

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Bepolar : On est dans le Kentucky. Pourquoi avoir choisi cet état ? Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y placer votre récit ?
Cedric Lalaury : On est dans le Kentucky surtout au début, là où Jessie est retournée vivre avec son grand-père, puis l’histoire se déplace en Caroline du Sud, mais dans les terres. C’est un coin moins connu. D’habitude, les romanciers qui choisissent cet État placent leur intrigue au bord de l’Atlantique, près de Charleston. Je voulais un trou paumé, pour ma part, et surtout qui n’existe pas dans la réalité. J’aime l’idée de nicher mes histoires dans des « non lieux » que je peux former selon mes besoins – des montagnes, des lacs, des forêts, etc. C’est pour ça que je choisis souvent les États-Unis, et si possible des régions américaines inconnues du grand public. C’est plus facile d’inventer des lieux imaginaires loin de chez soi, il me semble. Je ne pourrais pas développer une intrigue entière à New York ou Los Angeles. C’est trop réel pour moi, je ne me sentirais pas à l’aise. D’ailleurs, un de mes romans encore non publié débute à New York mais le narrateur quitte très vite la ville pour une bourgade sortie tout droit de mon imagination. Pour Que les ombres passent aux aveux, j’avais besoin du Sud des États-Unis car c’est une région qui a donné lieu à une littérature gothique et grotesque à laquelle je voulais rendre hommage, tous ces romans peuplés de personnages étranges, bizarres, un peu monstrueux, et le tout baignant dans une atmosphère mystérieuse, extrême. C’est assez vaste, le Sud littéraire américain, et cela va d’Edgar Allan Poe à Faulkner et James Lee Burke en passant par Flannery O’Connor. Une galaxie d’auteurs que j’adore.

J’ai un lien charnel et émotionnel fort avec tous mes personnages.

Bepolar : Il y a le personnage principale de Jessie, mais vos personnages secondaires sont aussi très forts. Quels liens avez-vous avec vos personnages ? Vous aviez envie de tous les mettre à un moment où un autre en lumière ?
Cedric Lalaury : J’ai un lien charnel et émotionnel fort avec tous mes personnages. Je les aime tous, y compris les pires crapules – à deux ou trois exceptions, dans d’autres romans, bien sûr. Lorsqu’un personnage déboule dans l’histoire, je ne sais jamais quel sera son rôle exact mais j’ai toujours le pressentiment de l’importance qu’il aura. Mes personnages, je les vois, mais surtout, je les entends, j’ai vraiment leur voix au creux de l’oreille, et c’est important pour moi car j’espère qu’ils ne s’expriment pas tous de la même façon, qu’on peut les reconnaître. Dans ce roman, au fur et à mesure de l’écriture, je me suis rendu compte que je rendais hommage à David Lynch et sa série Twin Peaks. Tous les personnages de cette série, y compris ceux qui passent furtivement, ont une importance et une présence assez incroyable, je trouve, et je pense avoir essayé de donner la même présence à mes personnages, y compris ceux qui ne sont pas humains comme Keowe, la forêt d’Eden Wood ou le manoir des Webson.

Bepolar : Votre héroïne part vivre dans la maison de son grand père décédé avant d’enquêter sur une affaire non résolue depuis des années. Vous aviez envie en quelque sorte de raconter aussi l’histoire d’un deuil ?
Cedric Lalaury : Je crois que c’est clair, oui. C’est une histoire de deuil non seulement vis-à-vis de son grand-père mais encore vis-à-vis de la femme qu’elle a échoué à être, c’est-à-dire – d’après ses critères – une bonne épouse et une bonne mère. Je crois que Jessie, pour des raisons qu’on découvre à la lecture du roman, n’a jamais réussi à être un individu accompli et s’est contentée d’essayer d’être une femme « normale », pas vraiment libérée et indépendante, malgré ses velléités littéraires, d’où cette forme de régression qui consiste à revenir dans la maison de son enfance pour repartir de zéro après le drame qui l’a frappée. Lorsque son grand-père meurt, elle vacille à nouveau, et pour affronter le deuil, elle saisit au vol cette histoire de crime et d’enfant disparu des décennies plus tôt avec l’illusion que son grand-père n’est pas complètement parti tant que ce mystère dont il semblait avoir connaissance n’est pas résolu. Ce qui m’a frappé en corrigeant le texte, c’est que nombre des personnages du roman sont aux prises avec un deuil impossible à affronter. Beaucoup sont très malheureux, incapables de tirer un trait sur un passé douloureux.

Je ne dois pas m’ennuyer quand j’écris et je dois être happé par l’histoire

Bepolar : Votre roman nous tient en haleine de bout en bout. Comment l’avez-vous construit ? Quel est votre truc d’écrivain pour ménager le suspens chapitre après chapitre ?
Cedric Lalaury : Je n’ai pas vraiment de truc, plutôt une boussole, qui est moi-même. Je ne dois pas m’ennuyer quand j’écris et je dois être happé par l’histoire – dont je ne sais jamais comment elle se finira ! Si je ne suis pas surpris, moi, il y a peu de chance que le lecteur le soit. Quant à la construction de mes romans, il n’y en a pas. Je ne suis pas du tout un auteur à la Zola qui programme le nombre de chapitres et leur contenu. Mon modèle, ce serait plutôt la Shéhérazade des Mille et une nuits : il faut raconter, tenir le lecteur en haleine quoi qu’il en coûte. Parfois, je me surprends vraiment moi-même : je viens de corriger un roman que j’ai écrit il y a un ans et demi et dans cette intrigue touffue, il y a un mystérieux personnage qui honore la mémoire d’une femme suicidée à l’endroit où elle s’est tuée. Eh bien j’avais réellement oublié l’identité de ce personnage et j’ai été surpris de découvrir qui il était. Ç’a été une drôle de sensation, à la fois satisfaisant, amusant, et presque effrayant.

Bepolar : Est-ce que vous travaillez déjà sur autre chose ? Quel sera le sujet de votre prochain roman ?
Cedric Lalaury : Je travaille toujours sur quelque chose. Comme j’écris très vite, j’ai des manuscrits d’avance. C’est la réécriture qui me prend le plus de temps, et c’est aussi l’étape que je préfère. J’ai deux romans quasi prêts : l’un est très touffu, long, avec une intrigue sinueuse et aux nombreuses ramifications. Ce sera l’histoire d’une erreur judiciaire qui a anéanti le narrateur, un jeune homme d’une trentaine d’année qui sera contraint de faire face à son passé et ses mensonges après qu’on a engagé un privé pour reprendre l’enquête concernant le crime auquel ce jeune homme est peut-être plus lié qu’il n’a voulu l’admettre. L’autre roman traite d’un thème qui m’intéresse et m’agace parfois et qui est pourtant populaire dans le domaine du polar : le tueur en série. J’ai essayé d’écrire l’histoire d’un tueur en série qui serait plausible, loin d’une image parfois trop romanesque, trop séduisante qu’on trouve dans les fictions et rend ce genre d’individu sympathique et sexy. J’avais déjà écrit ce roman quand Mindhunter est arrivé sur Netflix. C’est une merveille, cette série, car elle montre le côté glauque, banal et effrayant des tueurs en série. C’est ce que j’espère avoir fait.

Bepolar : Avez-vous déjà des dates de dédicaces pour 2020 ?
Cedric Lalaury : Non, pas encore de dédicaces prévues pour 2020 et il n’y en aura pas dans l’immédiat à cause de mon état de santé. La seule prévue en décembre a été annulée pour cette raison. Nous verrons d’ici janvier février.

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