- Réalisateur : Gareth Evans
- Acteurs : Joe Cole, Sope Dirisu, Michelle Fairley
Entre effusions de violence et rivalités de clans, "Gangs of London" mise davantage sur la fureur que la subtilité - oubliez donc Peaky Blinders ou The Wire. Et pourtant, cette série signée Gareth Evans n’en demeure pas moins abrasive et d’une précision quelquefois chirurgicale.
Gangs of London
De : Gareth Evans
Avec : Joe Cole, Sope Dirisu, Michelle Fairley, Lucian Msamati
Genre : action, thriller, policier
Pays : Angleterre
Année : 2020
Sans le savoir, un petit malfrat venu s’acquitter d’un contrat a priori banal vient d’abattre Finn Wallace, le baron de la pègre le plus puissant de tout Londres. Sa mort soudaine laisse le crime organisé en plein chaos. Sean Wallace, son fils amené à lui succéder, se fait un devoir de le venger et de découvrir la vérité, déployant à cet effet toute son intransigeance et sa sauvagerie. Mais ce raz-de-marée provoque une onde de choc à travers tout le crime organisé international, au point de créer des dissensions entre les clans. Dans le sillage de cette spirale, un étrange homme de main aussi hanté que féroce, Elliot Finch, se rapproche de Sean…
Plus que la mise à mort brutale et impitoyable ouvrant "Gangs of London" - le coup du bidon d’essence et de l’allumette, mais au-dessus du vide -, c’est le travelling suspendu la précédant qui résume le mieux le dispositif de la série. Dès les premières secondes, la caméra survole de nuit Londres dans un décor urbain industriel, mais en le faisant à l’envers. Ciel et terre apparaissent en lieu et place l’un de l’autre, et l’on comprend très vite qu’il s’agit d’une vue subjective d’un petite frappe pendue par un pied la tête en bas en haut d’un immeuble. Symboliquement, tout semble énoncé d’entrée de jeu : la perte de repère, ou plutôt un renversement radical des valeurs - la figure du paradis, du ciel, n’étant plus qu’un amas sombre, monolithique, bétonné et donc sans espoir. Ce motif totalement désenchanté, où règnent la mort et la masculinité toxique, "Gangs of London" ne cesse par la suite de le déplier scène après scène. Récit de vengeance oblige, la série sublime la cruauté et la fatalité. Tous ses antihéros apparaissent travaillés par le ressentiment et par une violence inouïe. À tel point que parmi les scènes d’exposition ou de dialogue, qu’il s’agisse de réunions de gros bonnets, d’un briefing, d’une description ou d’un détail permettant de peaufiner un personnage, le calme s’avère précaire. Comme si l’apparente quiétude dissimulait nécessairement une rétention de fureur. Sur ce point, "Gangs of London" ne cache pas ses intentions, privilégiant dès que possible le débordement frénétique. Tout passe notamment par la contradiction, d’abord verbale - un ponte des bandits affirme par exemple que le business de la drogue ne s’arrête pas avec l’assassinat du parrain, avant de se voir désavoué par le fils du défunt dans l’instant qui suit -, puis physiquement dans un vertige de destruction. Certains espaces comme le bar, initialement paisible, finissent anéantis au gré des affrontements. Si la méthode tranchante et implacable de Sean Wallace ne fait pas d’ambiguïté, celle plus frontale (quoique paradoxalement plus diplomate) d’Elliot Finch confine à la destruction. Les castagnes qui en découlent, sans aller jusqu’à flirter avec le gore absolu du cinéma de S. Craig Zahler, se révèlent d’une brutalité aux frontières de l’horreur.
Et pourtant, "Gangs of London" distille par-delà sa furie une atmosphère particulièrement léchée - pas au point de rivaliser avec "Peaky Blinders" mais tout de même. Grâce notamment au travail réalisé sur les couleurs, avec des tonalités résolument sombres et désaturées, ou encore via la topographie de ses décors - façon souricières et dédales -, la série bénéficie d’une certaine maîtrise. Toute la séquence avant l’assassinat plus ou moins accidentel de Finn Wallace, qui suit deux adolescents dans leur descente inconsciente aux enfers, fonctionne comme un piège. Le fait-même d’emprunter la voiture, d’en descendre puis de pénétrer l’immeuble dans le quartier de la mafia albanaise, introduit le fatum. Dès lors, la malédiction n’est plus une option, ne serait-ce que lorsqu’une bande de malfrats redoutables prend d’assaut le véhicule avant de s’enfuir après l’arrivée d’un plus gros poisson. Ainsi, "Gangs of London" repose sur une logique de surenchère, ou du moins d’accumulation d’hostilité jusqu’à l’explosion. Cette dynamique dans l’esprit de l’action déchaînée de "La Vengeance dans la peau" (Paul Greengrass, 2007) mais en version survitaminée, le réalisateur Gareth Evans l’avait déjà explorée à travers son cinéma - avec la saga "The Raid" en tête. De même que le versant épouvante latent de "Gangs of London" hantait déjà son long-métrage "Le Bon Apôtre" (2018).
Toutes ces facettes de "Gangs of London", efficaces, ne dispensent cependant pas complètement cette série britannique du classicisme. Car hormis son usage débridé de la violence, certes impressionnant, elle reste par ailleurs entièrement conforme aux codes des films de gangsters. Ces clichés mis à part, "Gangs of London" se distingue néanmoins grâce aux joutes politiques auxquelles se livrent les différents clans de mafieux. Mention spéciale enfin côté casting, assez irréprochable de Joe Cole à Michelle Fairley en passant par Sope Dirisu et Colm Meaney.
La série "Gangs of London" est disponible sur Canal +