- Réalisateur : David Ayer
- Acteurs : Josh Hutcherson, Jason Statham, Jeremy Irons
Sans une once de second degré, mâchoire serrée et regard oblique, Jason Statham dézingue à tout va les renégats. Pour donner corps à cette trajectoire d’ange destructeur façon Harry Calahan mais au carré, le cinéaste David Ayer manque cruellement d’inspiration.
The Beekeeper
De : David Ayer
Avec : Jason Statham, Josh Hutcherson, Jeremy Irons
Genre : action, policier
Pays : États-Unis
Année : 2024
Adam Clay, ex agent secret d’une organisation clandestine nommée « Beekeepers », exerce la profession d’apiculteur sur le terrain d’une enseignante, Eloise Parker. Victime d’une brutale escroquerie, cette dernière fait perdre deux millions de dollars à son association caritative, avant de se suicider par désespoir. Adam reprend alors immédiatement du service en se se lançant dans une quête justicière inextinguible pour la venger. En parallèle, une agente du FBI le traque pour tenter de comprendre sa folie meurtrière et la stopper.
David Ayer, le cinéaste derrière le film de guerre "Fury" (2014), les blockbusters d’action "Suicide Squad" (2016) ou encore "Bright" (2017), n’était jusqu’ici pas tout à fait connu pour sa subtilité. Seule sa participation au scénario du polar "Training Day" (Antoine Fuqua, 2001) pouvait à la rigueur constituer une carte de visite vaguement honnête. Or, il se pourrait fort à la lumière de son dernier long-métrage, intitulé "The Beekeeper" (2024), que ses œuvres passées relèvent finalement du cinéma d’art et essai, en comparaison de ce nouveau rejeton. Si le metteur en scène ne s’embarrassait précédemment jamais de demeurer résolument à la surface des choses, feignant une pseudo inspiration documentaire ici et là pour justifier des choix pourtant aberrants, aucune hypocrisie à l’horizon cette fois – c’est peut-être le seul point positif de ce polar survitaminé. "The Beekeper" se garde en effet de dissimuler ce qui l’anime fondamentalement, à savoir une action sciemment décérébrée.
Inutile se s’appesantir sur le prétexte introduisant la trajectoire destructrice d’Adam Clay, cette machine de guerre invulnérable incarnée par Jason Statham : son histoire de représailles – il s’agit de venger le suicide d’une femme victime d’une cyberattaque - et d’allégorie selon laquelle une abeille vient tuer la reine en cas de progéniture défaillante, est à dormir debout. De toute façon, personne n’y croit – pas même les protagonistes du film ou l’équipe technique. Une fois le pourquoi de la baston évacué, "The Beekeeper" se résume donc à un enchainement de scènes d’affrontements mettant à l’honneur les coups de tatanes de Jason Statham. Difficile alors de trouver matière un brin audacieuse au fil des plans, l’acteur britannique ayant déjà largement écumé sinon asséché le filon tout au long de sa carrière. Les grands méchants, le FBI à ses trousses, les escouades de mercenaires en tous genres… aucun individu ne résiste à la rage destructrice d’Adam Clay, sorte d’agent secret – tueur à gages impassible, à ses heures apiculteur. Son unique écueil, juste après être passé entre les balles des armes automatiques – à bout portant - d’une armée de commandos myopes dans un escalier en colimaçon, il le trouve en la personne d’un unijambiste susceptible et bas du front. Leur combat grand-guignolesque convoque sans le vouloir le "Commando" (1985) de Mark L. Lester, autre sommet d’action malgré lui hilarant et truffé de premier degré.
Sans un seul demi sourire de Jason Statham ou de qui que ce soit d’ailleurs – hormis admettons les deux cadres du FBI, dont Verona Parker, apparemment peu concernée par la mort de sa mère – dans "The Beekeeper", la gravité semble bel et bien ici une intention. Or, ces masques immuables produisent très vite une sensation de parodie. On se demande ce que viennent faire dans cette galère les acteurs et actrices du film, notamment Jeremy Irons. De plus, même si la plausibilité des péripéties importe vraiment peu dans un film comme celui-là, l’invraisemblable flirte ici avec l’infini et l’absurde. Un minimum de crédibilité devrait subsister pour maintenir l’attention du spectateur d’une scène à l’autre, surtout lorsque l’humour demeure foncièrement absent comme ici.
Si seulement la mise en scène venait rattraper un tant soit peu la substance totalement stérile de "The Beekeeper". Hélas, celle-ci tente sans succès, entre deux ou trois mimiques, de donner signe de vie. Avec le même genre d’éclairage doré qui faisait les beaux jours du Steven Soderbergh de "Hors d’atteinte" (1998), "L’Anglais" (1999) ou encore "Traffic" (2000), mais en version fast-food, le long-métrage se noie dans un maniérisme sans objet. La structure (building, open-spaces, couloirs…) reste toujours la même de séquence en séquence, à mesure qu’Adam Clay passe d’un dézinguage de centre d’appels à un autre. À tel point que l’on se demande si les mêmes décors n’ont pas servi, moyennant quelques camouflages ici ou là, à mettre en scène la totalité du film. Il faut dire que le budget de "The Beekeeper" de 40 millions de dollars était peut-être un peu serré, une fois déduits les cachets des quelques stars en déclin du film. Mais le pire concerne certainement les plans d’ensemble catastrophiques servant à introduire à un espace donné ou une séquence : le même mouvement de caméra en rotation, inexplicable et affreux, joue chaque fois le rôle d’intermède. S’agit-il d’induire la dramatisation, un peu comme le fit souvent Brian De Palma ? Peut-être, mais le résultat confine au naufrage. Enfin, la photographie et la colorimétrie suscitent systématiquement une impression de studio.
Cette submersion chaotique, et ce à tous les niveaux, de "The Beekeeper" atteint sans doute son climax lors de la scène finale. Adam Clay Statham s’en sort – bien entendu – et s’avère hors de portée des individus à ses trousses dès qu’il se trouve isolé en gros plan dans le cadre, comme si le hors-champ s’apparentait à une barrière infranchissable. Le personnage pose tranquillement et ses poursuivants vraiment peu concernés ressemblent furieusement à des touristes sur la plage. Tranché comme un lardon, le protagoniste file dans la mer sans obstacle apparent. Il s’agit peut-être bien de l’une des fins les plus ratées de toute l’histoire du cinéma.
"The Beekeeper" est disponible sur Amazon Prime.