- Acteurs : Dylan O'Brien, Mark Rylance, Zoey Deutch
Ce premier long-métrage de Graham Moore, connu pour son scénario d’"Imitation Game" (Mortem Tyldum, 2014), revisite le film de gangsters en mode confiné. Une recette classique et efficace, mais cette efficience ne manquerait-elle pas d’insolence et d’originalité ?
The Outfit
De : Graham Moore
Avec : Mark Rylance, Zoey Deutch, Dylan O’Brien
Genre : polar, gangsters, thriller
Pays : États-Unis
Année : 2022
Toute l’intrigue se déroule à Chicago dans une boutique chic de tailleur sur-mesure, au sein d’un quartier contrôlé d’une main de fer par la mafia irlandaise. Particularité de ce magasin tenu par un coupeur anglais aussi virtuose que méticuleux (Mark Rylance, brillant) : servir de planque pour l’argent sale des bandits du clan Roy Boyle. Mais un jour, se présente un écueil. Dans la boîte placée dans le magasin et servant à recueillir les enveloppes de cash, un message suggérant l’existence d’une taupe vient semer le trouble au sein de la bande. Un sentiment paranoïaque s’empare alors de chacun, attisant les tensions et inimitiés préexistantes. Si bien que cette nuit-là, les discordes latentes pourraient bien dégénérer en règlements de compte…
Avec "The Outfit", le réalisateur Graham Moore ne s’embarrasse pas d’un dispositif complexe mais va à l’essentiel. Tout repose en premier lieu sur l’atmosphère, tantôt élégante et cafardeuse dans une veine assez typique du film noir, tantôt prompte à sublimer les bandits. La psychose tiraillant les gangsters dérègle le quotidien tranquille de Leonard, le coupeur – personnage-narrateur à partir duquel le spectateur contemple toute l’histoire. Dans l’espace exigu de la boutique, les certitudes volent en éclat. Perpétuellement affairé à confectionner un fastidieux costume, Leonard se fait le témoin silencieux et circonspect de la confusion des gangsters. Plutôt soignée sans franchement viser l’allégorique, la mise en scène jongle avec les ellipses et les faux-semblants pour divertir. Son sel, "The Outfit" le trouve surtout dans la faconde et le cabotinage de ses personnages, tous interprétés par d’excellents acteurs et actrices : Mark Rylance bien sûr, à la fois théâtral et cérébral, mais également Zoey Deutch (la réceptionniste de l’atelier), plurielle et insaisissable, sans oublier les remarquables malfrats, entre déséquilibre et bonhommie, qu’incarnent en tête Johnny Flynn et Simon Russell Beale.
Cette tension sous-jacente qui surnage donne à "The Outfit" des airs de grenade dégoupillée, toujours au bord d’un précipice. Le doute quant à sa dimension parodique larvée, quelquefois, affleure même. Comme si le film pouvait glisser soudainement vers le jusqu’au-boutisme du Guy Ritchie de "Snatch" (2000) ou du Matthew Vaugn de "Kingsman : Services secrets" (2015). Il faut dire que l’introduction de "The Outfit", dans son analogie un peu lourdingue entre la fabrication extrêmement pointilleuse d’un costume et la mise au point d’un plan méthodique mystérieux et potentiellement vengeur, ne laisse aucun doute sur sa propension au secret, à la couture invisible ou à la poche dérobée. Or, si le film ne bifurque pas aussi brutalement que le laisse entendre son préambule, les twists ne manquent pas au rendez-vous – sans surprise, malheureusement.
Là se situe donc certainement la principale limite de "The Outfit", qui beaucoup trop vite semble dévoiler ses intentions, entre la voix off de "The Barber" (Joel & Ethan Coen, 2001) et les trompe-l’œil de "Usual Suspects" (Bryan Singer, 1995). Le long-métrage fonctionne certes, ne suscite pas l’ennui mais… prend le risque de laisser le spectateur, familier de cet exercice de simulacre, sur sa faim. Heureusement, pour compenser ce côté statique et itératif de la mise en scène – Graham Moore préfère vraiment la prudence à l’audace –, les costumes signés Zac Posen relèvent ce classicisme un peu trop sage d’une aisance bienvenue. Avec ce même principe de polar en huis-clos (ou presque), mieux vaut sans doute néanmoins se tourner vers le séduisant "Bound" (Lana & Lilly Wachowski, 1996) ou encore l’inoubliable "Sang pour sang" (Ethan & Joel Coen, 1984).
Polar paranoïaque teinté de thriller, "The Outfit" est disponible sur Netflix.