- Auteur : Frédéric Paulin
- Editeur : Agullo
Frédéric Paulin se livre dans une interview.
Bepolar : Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir sur cette période de l’Algérie ?
Frédéric Paulin : Je n’ai pas de liens familiaux ou culturels avec l’Algérie mais j’ai un lien de souvenir. Au début des années quatre-vingt-dix, lorsque les massacres ont eu lieu, lorsque Khaled Kelkal était recherché en France, j’avais une vingtaine d’années et je me souviens d’avoir été bouleversé par les images que je voyais à la télé, dans les journaux. A l’époque, je me sentais démuni : que faire ? Que dire ? D’une certaine manière, aujourd’hui, je comble cette frustration. Peut-être… Et puis, ce livre et les deux qui suivront tentent de répondre à deux choses : donner à lire la complexité du monde d’aujourd’hui en revenant sur un passé pas si lointain, et faire œuvre de mémoire. Je crains de plus en plus que notre époque perde la mémoire et choisisse la simplification comme mode de compréhension du réel. Souvent, il y a les bons et les méchants, c’est plus simple. C’est plus dangereux à moyen terme.
Bepolar : Dans une récente vidéo pour Mollat, vous disiez que cette période était un peu aux sources de toutes les autres concernant le djihadisme. Est-ce que vous pouvez nous dire comment aujourd’hui encore elle résonne dans notre quotidien ?
Frédéric Paulin : L’idée est que ces trois livres expliqueront comment on en est arrivé là. Comment des jeunes types ont décidé de tirer à la kalachnikov sur des gens, dans les locaux de Charlie Hebdo, dans le supermarché casher de la porte de Vincennes, au Bataclan, sur des terrasses de café, et dans beaucoup d’autres endroits finalement, en France et à l’étranger. Comment et pourquoi ils ont décidé de mourir ensuite. Enfin, disons que je propose des pistes mais je n’ai pas la solution. Oui, il y a un lien avec la guerre civile qui a déchiré l’Algérie entre l’armée et les islamistes, Al Qaïda puis Daesh. Rien n’apparaît de façon ex nihilo, même en géopolitique, surtout en géopolitique. Il y a une explication à tout. Mais expliquer n’est pas pardonner.
Bepolar : On parle souvent de documentation. Est-ce qu’il y a eu pour vous un gros travail de documentations justement ? Est-ce que tout est accessible sur cette période relativement récente ?
Frédéric Paulin : Oui, je me suis beaucoup documenté. J’aime ça, aller au fond des choses, tirer le fil de la pelote. Je n’ai pas de lien avec la DGSE ou même avec l’armée, encore moins avec des terroristes repentis, tout ce que j’ai amassé comme documentation, chacun pourrait le faire s’il en avait l’envie. Et puis je parle d’événements finalement récents, il y a des témoins et des victimes encore vivants, je ne veux pas les blesser plus encore en falsifiant leur histoire. Mais La Guerre est une ruse n’est pas un document ou un essai, je ne suis pas universitaire ou journaliste, je suis romancier. Ce roman est aussi un roman d’aventures, d’amour un peu aussi.
Bepolar : Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? Comment avez-vous tissé votre intrigue sur l’Histoire avec un grand "H" ? Avez-vous pris des libertés avec celle-ci ?
Frédéric Paulin : Non, je ne prends pas de libertés avec l’Histoire. Évidemment que non. Si j’écris du roman, c’est aussi pour faire passer un message, un point de vue, je ne peux me permettrait de prendre des libertés avec l’Histoire, de la falsifier, de la réviser. Mais, bon, il faudrait qu’on s’entende sur le mot « Histoire ». Voltaire disait que l’Histoire est un mensonge sur lequel les historiens s’accordent. Quant à la distinction entre le vrai et le faux, c’est un questionnement qui revient souvent et pour beaucoup de romans, mais moi, je postule de l’intelligence et de la sensibilité du lecteur avant d’écrire. Sans ça, mes livres ne pourraient pas paraître.
Bepolar : Pourriez-vous nous présenter Tedj Benlazar ? Comment le voyez-vous ?
Frédéric Paulin : Tedj Benlazar vit dans le mensonge. Il en a fait son métier mais sa vie privée est aussi un mensonge. Il est agent de la DGSE française mais vit entre deux cultures, son père était algérien, sa mère français. Il est finalement un personnage qui symbolise les ambiguïtés des relations entre le France et l’Algérie depuis 1962, et sans doute plus encore durant la décennie noire des années quatre-vingt dix. Mais Tedj Benlazar est aussi un mec droit qui tente de surnager dans le marasme dont il est le témoin en Algérie, et dans celui de sa vie propre. Il est à la limite, toujours, borderline on dirait aujourd’hui.
Bepolar : Pourquoi avoir choisi le polar pour cette histoire ?
Frédéric Paulin : Je dirai plutôt le roman noir – même s’il y a des scènes de pur polar dans le roman. Bon, le polar ou le roman noir permettent une critique sociale, politique cinglante, pour moi c’est une littérature armée. Enfin, elle ne l’est pas toujours mais moi, c’est ma façon de l’envisager. La violence, le désespoir qui s’y retrouvent, correspondent bien aux dérives du monde actuel. En résumé, choisir le roman noir, ce n’est pas moins qui l’ait décidé, c’est le monde autour de moi qui va mal qui m’y a poussé.
Bepolar : Quand pourrons-nous vous retrouver en dédicace ?
Frédéric Paulin : J’ai déjà commencé à parcourir la France depuis la sortie du livre début septembre. Au mois de novembre, je serais un peu partout.
Le 7 novembre, Sucy-en-Brie, librairie L’Oiseau Moqueur ;
Le 9 novembre, Strasbourg, La Tâche Noire ;
Le 16 novembre, Auch, Les Petits Papiers ;
Le 21 novembre, Lyon, Librairie du Tramway ;
Le 22 et 23 novembre, Saint-Étienne, Festival Les Gueules noires du polar, Librairie de Paris ;
Les 24 et 25 novembre, Paris, Festival Radio France fête le livre, Maison de la Radio ;
Le 28 novembre, Paris, Le Livre écarlate :
Le 30 novembre, Lunel, Librairie AB.
Et plus, si affinités… car tout ça est en cours d’organisation.
Bepolar : Et sur quoi travaillez-vous désormais ?
Frédéric Paulin : Le deuxième tome (mais les trois tomes seront de lecture autonome, ils suivent surtout une chronologie sur trente années) sortira en mai 2019. Donc, j’affine le texte, je le corrige aussi. Et puis, j’ai commencé à écrire le troisième volet. Pour l’instant, mon travail d’écrivain se résume donc à cette « trilogie ».
Bepolar : Dernière question, qu’est-ce qu’un bon polar pour vous ?
Frédéric Paulin : Celui que le lecteur trouve bon. Mais je ne suis pas qu’auteur, je suis aussi lecteur et souvent, il y a des bouquins qui me tombent des mains et d’autres, moins nombreux, qui me rendent jaloux de ne pas les avoir écris. Je pense fondamentalement qu’on ne peut pas penser sans connaissance. Donc j’écris pour apporter de la connaissance – à mon humble niveau, soyons honnête. C’est pourquoi j’estime qu’un bon polar doit apprendre quelque chose au lecteur, éclairer des zones sombres. Mais le bon polar doit également développer une histoire et des personnages qui transporteront le lecteur.