Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman, Le Bon Camp ?
Eric Guillon : Je m’intéresse depuis longtemps à l’histoire du banditisme français pendant l’occupation allemande, période pendant laquelle les voyous ont été utilisés à la fois par la Résistance et par les Services de police allemands, plus communément désignés par le nom de « Gestapo ». J’ai écrit en 2006, la biographie d’Abel Danos, dit « Le Mammouth », personnage emblématique de cette époque et découvert que sa vie aventureuse s’assimilait à un véritable roman. De là est venu l’idée d’écrire un livre qui évoquerait cette période et certains des personnages dont j’avais découvert l’histoire au cours de mes recherches.

Bepolar : On y suit un personnage qui a un sacré CV : Joseph Mat a été combattant républicain pendant la guerre d’Espagne, contrebandier, ancien militant communiste pendant la seconde guerre mondiale et trafiquant d’arme pendant la guerre d’Algérie. Qui est-il à vos yeux ? Comment vous le présenteriez ?
Eric Guillon : Joseph Mat est un homme comme il en a existé beaucoup pendant la période troublée de l’entre-deux guerres : un homme balloté par les évènements, évoluant au gré des circonstances, de ses convictions politiques et de ses sentiments. Mais ce qui sans doute, est le plus déterminant dans la vie de mon personnage et de beaucoup d’autres comme lui, c’est ce que les voyous de l’époque désignaient par le mot « fatalité », notion englobant le hasard, la chance, le destin…

Son CV est effectivement très riche : il a été contrebandier, s’est engagé dans l’armée républicaine en Espagne, est communiste de cœur mais s’oppose à la ligne directrice du Parti en 1939, travaille pour les Services spéciaux militaires, (donc l’armée de Vichy) engagés dans la résistance à l’occupant, en fréquentant parallèlement des voyous membres de la Gestapo française. Enfin, il devient tenancier de maison close en Algérie tout en participant à la lutte sourde entre le Sdec et le FLN sur fond de trafic d’armes…

Ce parcours quelque peu chaotique peut surprendre si on le considère à travers le prisme très réducteur de l’histoire avec un grand H, écrite le plus souvent de façon biaisée pour servir les intérêts des uns ou des autres. C’est elle qui détermine de façon simpliste et réductrice le blanc et le noir, les bons et les méchants, le bon camp et le mauvais…La réalité des faits est bien entendu beaucoup plus complexe et pour cela reste largement ignorée du public.

En ce sens, la période de l’Occupation, est un bon exemple, de cette approche partisane de l’histoire : définie pour une grande part encore aujourd’hui, par le narratif des vainqueurs et résumée par l’antagonisme « résistants- collabos », le récit édulcoré de cette période difficile de notre histoire a fait la part belle aux héros mais passé sous silence le parcours de milliers de ces obscurs personnages comme Joseph Mat. C’est le récit de leur vie, à mon sens, qui font la richesse et l’intérêt de ce qu’on nomme injustement la « petite histoire » et permet de mieux comprendre notre passé.

Bepolar : Il suit les événements, il suit parfois ses amours, et aussi ses intérêts. Est-ce qu’il est selon vous sympathique ?
Eric Guillon : Je pense que ce personnage n’est ni sympathique ni antipathique, il est simplement un homme avec ses qualités, ses défauts, ses faiblesses et ses contradictions réagissant à un moment donné aux évènements, à ses pulsions et au mieux de ce qu’il pense être, ses intérêts. Le fait qu’il soit souvent victime de ses choix et de ses engagements aussi bien en amour qu’en amitié, en fait un personnage plutôt attachant sinon sympathique.

Bepolar : Avec lui, au fur et à mesure que défile sa vie, on découvre le monde caché des voyous et des petits arrangements sur plusieurs décennies. Vous aviez envie d’écrire une histoire secrète, de celles que l’on enseigne pas ?
Eric Guillon : L’histoire du « Milieu », nom générique sous lequel on désigne le crime organisé en France, conserve une grande part de mystère. Il existe certes, pour certains évènements et au sujet de certains personnages emblématiques, une histoire officielle mais elle le plus souvent écrite par la police et les journalistes et donc sujette à caution : très souvent elle ne correspond pas à la réalité. Seuls les intervenants seraient à même de divulguer la vérité mais soumis à la loi du silence pour des raisons évidentes de sécurité, ils emportent généralement leurs secrets dans la tombe. Les choses se compliquent encore lorsque le monde des voyous croise celui de la politique ou celui des militaires, surnommé non sans raison de « Grande Muette » : les arcanes de leurs affaires deviennent alors à peu près impénétrables.

Bepolar : Quelle a été la part de documentation ?
Eric Guillon : J’ai puisé ma documentation en grande partie dans différents centres d’archives, la lecture des livres et journaux de l’époque mais aussi au travers les témoignages de quelques survivants ayant bien voulu me confier les souvenirs de certains de leurs « faits d’armes », de toute façon, depuis longtemps prescrits.

Bepolar : Est-ce qu’il y a une période plus difficile à écrire qu’une autre, la guerre d’Espagne ou la guerre d’Algérie ?
Eric Guillon : On peut, à priori, écrire sur toutes les périodes de notre histoire. Toutefois plus celle-ci est récente plus les blessures qu’elle est susceptible d’avoir laissé, sont vivaces. Le temps et l’oubli, son corolaire, permet une liberté d’écriture plus étendue. L’histoire de la guerre d’Espagne reste encore très sensible dans ce pays de même que ce que la France désigne par les « opérations de maintien de l’ordre en Algérie ». Les témoignages qui ont été et sont recueillis auprès des intervenants ainsi que les documents conservés dans les centres d’archives permettent aux chercheurs d’étudier ces périodes récentes avec plus de résultats au fil des années. Il faut savoir que la recherche dans les centres d’archives obéit à des règles strictes en ce qui concerne les délais de communication : la date à laquelle se sont produits les faits étudiés et la teneur de ceux-ci déterminent leur communication aux chercheurs : les documents relatifs aux affaires de police judiciaire sont par exemple soumis à un délai de communicabilité de 75 ans après les faits. Toutefois des dérogations auprès des services compétents peuvent heureusement être obtenues. Les archives relatives à la Seconde Guerre Mondiale sont en revanche accessibles sans restriction.

Bepolar : Quels sont désormais vos projets, sur quoi travaillez-vous ?
Eric Guillon : J’ai entamé depuis plusieurs années, un travail de recherche sur Pierre Loutrel, le fameux « Pierrot le Fou » connu pour avoir défrayé la chronique judiciaire à la Libération avec ses nombreuses attaques de banques. Si son parcours d’ennemi n°1 est connu, son rôle pendant la période de l’Occupation, d’agent double infiltré dans un service de police allemand est complètement ignoré. C’est ce qui m’a poussé à m’y intéresser. Un livre retraçant sa vie, devrait bientôt paraitre…

J’occupe par ailleurs mon temps libre à la rédaction d’un roman noir dont l’histoire se déroule au sein du monde des voyous à la période beaucoup plus récente des années 1980.