- Auteur : Anne Dhoquois
"Trois hommes assassinés dans trois villes différentes. Un point commun : les victimes sont retrouvées sans leur sous-vêtement." L’enquête commence...
Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
J’avais envie de parler des différentes formes de violences que subissent les femmes à commencer par le diktat des normes physiques, que nous (moi y compris) sommes nombreuses à intérioriser, modifiant profondément nos rapports à nos corps, aux hommes (je me situe ici dans le cadre de relations hétérosexuelles, celles que je connais) et parfois à la sexualité. Cette violence-là, qu’en fait-on ? On la garde en nous sans le savoir, on la digère tant bien que mal, on la reproduit... ? Ce fut le point de départ... qui m’a amené à dresser plusieurs personnages de femmes, blessées de façon différente par les hommes et qui cherchent à se venger. La violence sociale peut mener à la violence physique. On le sait tous. J’ai voulu explorer ce qu’il en est quand les femmes cessent d’être des victimes. Pour autant, j’espère ne pas être manichéenne.
Bepolar : C’est la deuxième fois que l’on suit le capitaine Sterling. Qui est-il ? Comment le voyez-vous ?
Sterling est au cœur de mon premier opus, Le chat qui ne pouvait pas tourner, qui pose mes personnages récurrents et mon univers. C’est un capitaine de police au passé familial douloureux, qui cherche sans cesse à repousser les monstres qui l’assaillent... sans toujours y parvenir. Mais c’est aussi ce qui fait de lui un flic acharné, intuitif et surtout paradoxal, solitaire et collectif, noir et lumineux, affectif et froid... Dans ce 2e opus, il est moins central, occupant surtout sa place de « chef d’enquête ». Ce qui ne m’empêche pas de le faire évoluer. C’est du reste ce que je trouve passionnant avec les personnages récurrents : relater l’impact que la vie a sur eux.
Bepolar : Il y a aussi toute son équipe, notamment les "juju", les lieutenants Juliette et Justine. Comment gérez vous les interactions entre les personnages d’un livre à l’autre ?
Tout d’abord, j’ai changé de commissaire dans le 2e opus, car ça ne fonctionnait pas avec Roussof, celui du Chat qui ne pouvait pas tourner. Je sentais que la relation avec Sterling était bloquée et que je ne pourrais rien en tirer. Avec le nouveau, Fabrice Montel, je décris une relation naissante, les deux hommes, bien que très différents, s’apprivoisent et c’est intéressant à raconter. Pour le reste, chacun est un peu le revers de la médaille des autres, le tout en fait une équipe super équilibrée. Il faut une Juliette pour rentrer dans le lard de Sterling quand il la joue trop solo, un Jojo pour assurer en toutes circonstances, un Fred pour faire le boulot que Sterling rechigne à faire, un Cottret pour mettre un peu de jeunesse connectée dans tout ça et une Justine pour veiller sur tout ce petit monde. Bien sûr, au fil des livres, ces interactions évoluent : dans celui-ci, Justine est enceinte, Juliette supporte moins son célibat, Cottret trouve de plus en plus sa place.... Tout ça impacte l’ambiance au sein de l’équipe.
Je n’ai jamais fait de reportage dans un commissariat avant d’écrire des polars. J’ai eu envie de me faire ma propre image et d’imaginer à quoi pouvait ressembler les relations entre les policiers d’une même brigade, des relations faites de solidarité, de complicité, de protection mutuelle mais aussi de conflits, de compromis, de liens hiérarchiques pas toujours simples... Ce qui m’intéresse, c’est le décryptage des sentiments, des rapports humains, des paradoxes. La vie d’un commissariat est idéale pour ça.
Bepolar : Votre livre évoque la mort de plusieurs hommes coupables de violences faites aux femmes. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur le sujet ?
Ce n’est pas un sujet que j’ai souvent vu aborder dans les polars (mais votre culture étant bien plus étendue que la mienne dans ce domaine, vous me démentirez peut-être). Or, c’est une violence vieille comme le monde, ancrée dans toutes les sociétés, que l’on peine à éradiquer... ceci est un euphémisme. Le polar m’a semblé un écrin tout à fait approprié pour écrire sur cette problématique, d’autant plus dans la France post #metoo. Et puis, je suis journaliste, spécialisée dans les sujets de société. Difficile pour moi de poser une cloison étanche entre ces deux activités.
Bepolar : Vous abordez aussi de nombreux sujets, l’immigration, les sans-papiers, l’islam radicale, la dépression, la solitude... comment avez-vous construit votre intrigue, et est-ce que tous les sujets évoqués l’ont été consciemment (parfois certains auteurs ou autrices se rendent compte une fois leur livre terminé qu’ils ont évoqué tel ou tel chose) ?
J’ai construit mon énigme autour de deux groupes de femmes, soit 6 personnages féminins, qui chacun à leur manière ont souffert du fait des hommes. Mes ce n’est pas que cela qui les définit. Elles sont aussi ancrées dans la vie. Comme tout un chacun, chaque jour, elles sont amenées à passer par plusieurs états ou côtoient des personnes qui naviguent dans des eaux plus ou moins troubles. Elles tiennent également plusieurs rôles : elles travaillent, sont bénévoles, confidentes, etc. Les décrire sous différentes facettes me permet de leur donner chair. Mais ce qui est vrai pour ces personnages l’est aussi pour les officiers de police judiciaire, qui sont aux premières loges pour voir défiler tous les maux ou problématiques de notre société. Cela dit, vous avez raison, je ne maîtrise pas tout. Mes personnages, et ce qui les anime, s’imposent à moi. Impossible de leur résister...
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que les lecteurs et lectrices retiennent de votre roman une fois la dernière page tournée ?
D’abord, le plaisir qu’ils/elles ont eu à le lire, le regret de l’avoir fini et l’impatience de découvrir la suite... Ensuite, ce que je recherche dans la littérature en tant que lectrice et ce que j’espère susciter en tant qu’autrice, c’est l’identification. J’aime imaginer que des femmes (voir même des hommes) vont se reconnaître dans l’un ou l’autre de mes personnages. Si les mots que j’ai mis dans leur bouche permettent de conscientiser une douleur, de mieux comprendre des mécaniques de domination, de libérer une parole... j’en serais ravie !
Bepolar : Un petit mot sur la couv, qui tranche avec les couvertures de polar habituels. C’est vous qui l’avez choisi ?
Depuis le premier opus, Aurélien Masson, mon éditeur, a choisi de travailler avec l’illustrateur Stéphane Trapier pour donner une identité graphique forte à mes livres, un style BD, aux couleurs vives, qui accroche le regard. C’est une réussite du reste.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ?
Je suis sur deux chantiers : tout d’abord, j’ai déposé un dossier au CNL pour une bourse auteur qui me permettrait d’avancer rapidement sur la rédaction du 4e opus de la série Sterling (le 3e, L’artiste au marteau, est déjà signé aux Arènes et sortira l’an prochain). En parallèle, j’ai commencé à écrire mon premier roman jeunesse, un polar fantastico-social... Il y a moins de segmentation dans cette littérature et ça me plaît de mélanger les genres.